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V.

La véhémence même de l’opposition que les néo-brahmaïstes avaient eue à vaincre pour faire admettre la validité de leurs mariages ne pouvait que servir leur propagande en signalant leur groupe à tous ceux qui, comme autrefois Keshub-Chunder-Sen, cherchaient un centre de rénovation religieuse et sociale. Dès son retour du voyage qu’il fit en Angleterre avec quatre disciples, à la fin de 1870, Keshub avait fondé à Calcutta l’Indian Reform Association, « en vue de poursuivre la réforme morale et sociale des natifs de l’Inde. » Ouverte à tous les indigènes sans distinction de races ni de cultes, mais composée en majeure partie de brahmaïstes, elle fut subdivisée en cinq sections sous les dénominations suivantes : 1° amélioration du sort des femmes ; 2° éducation ; 3° littérature à bon marché ; 4° tempérance ; 5° bienfaisance. — À partir de 1871, nous retrouvons cette association à la tête de toutes les entreprises qui poursuivent la régénération matérielle et morale de l’Inde, depuis l’éducation de la femme, le grand desideratum de la société indigène, jusqu’à la répression de l’ivrognerie, cette récente importation des vices anglais sur les bords du Gange. La propagande sociale et le prosélytisme religieux du brahmaïsme se prêtaient du reste un mutuel appui. De toutes parts, on accourait écouter la parole ardente et inspirée de Keshub, qui dans certaines circonstances réunit des auditoires de deux à trois mille personnes. En même temps, d’innombrables tracts, renfermant des prières, des sermons, des conférences, des dissertations morales ou philosophiques, étaient distribués dans le pays avec cette infatigable prodigalité dont nos réformateurs avaient pris le secret aux sociétés bibliques de l’Angleterre.

Mais c’est surtout par les missionnaires que le brahmaïsme a étendu ses conquêtes dans l’intérieur de la péninsule. Ces missionnaires, formés dans l’institut théologique du Brahma Somaj, ont pour double but d’entretenir la foi chez les fidèles et de la répandre chez les incroyans. Chaque année, vers l’époque du principal brahmostab, ils se réunissent en conférence à Calcutta, d’où ils se répandent ensuite jusqu’aux extrémités de l’Inde, suivant un itinéraire tracé d’avance, inspectant les congrégations déjà établies et s’efforçant partout d’en fonder de nouvelles. Leurs familles restent à la charge de la communauté, afin qu’ils puissent se vouer tout entiers aux intérêts de l’église. S’arrêtant là où ils peuvent espérer une audition sympathique ou seulement attentive, ils prêchent la bonne parole sur les places publiques, dans les foires, sous un arbre, au bord d’un étang, ou bien ils chargent un de leurs