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longues pénitences et d’énormes amendes payées aux prêtres. Mais la domination anglaise n’a pas inutilement passé sur l’Hindoustan, et les sympathies que le ministre adjoint du Brahma Somaj rencontra dans sa disgrâce chez ses concitoyens les plus éclairés ne tardèrent pas à montrer que, pour la première fois peut-être depuis l’insurrection sociale de Bouddha, la révolte contre les prescriptions de caste redevenait possible dans la société hindoue. Quelque temps après, comme Keshub était tombé dangereusement malade, sa famille vint même à résipiscence et consentit à le réintégrer dans ses droits patrimoniaux.

À peine rétabli, Keshub proposa de rendre obligatoire pour les ministres du Brahma Somaj l’abandon du cordon brahmanique ; mais Debendra-Nath-Tagore, bien qu’il eût lui-même donné l’exemple de cette mesure, se refusa à en faire une condition indispensable de l’exercice du sacerdoce. De là résultèrent de vives discussions où l’on vit les brahmaïstes se partager en deux camps sous la direction respective des deux ministres. Tous semblaient plus ou moins d’accord sur les questions de principes. Mais les conservateurs, inspirés par Debendra-Nath-Tagore, que tant d’innovations commençaient à effrayer, soutenaient que le Brahma Somaj devait se confiner, autant que possible, dans sa mission de réforme religieuse, qu’il fallait compter avec l’état des mœurs et que la répudiation complète des distinctions sociales était contraire à la tradition comme à l’esprit national des Hindous. À quoi les progressistes répliquaient avec Keshub qu’il était impossible de séparer les réformes sociales des réformes religieuses, que devant Dieu toutes les distinctions de caste devaient disparaître, et qu’une église consciente d’être en possession de la vérité devait la proclamer intégralement, sans hésitations comme sans scrupules. Cette controverse atteignit son point culminant lorsque Keshub s’avisa un beau jour de célébrer le mariage d’un vaidya avec une jeune veuve de caste différente ; après quoi toute la noce, y compris le ministre, participa au même repas. Le scandale prit alors de telles proportions au sein même du Brahma Somaj que Keshub, désespérant de gagner la majorité à ses idées, quitta volontairement l’association avec plusieurs centaines de partisans, et, l’année suivante, il consommait le schisme en constituant une église distincte, sous le titre de Bharatbharsia Somaj, ou Brahma Somaj de l’Inde, par opposition au Brahma Somaj de Calcutta, qui fut désormais connu sous le nom d’Adi (ancien) Somaj. La nouvelle association n’avait pas seulement pour but de faire concurrence, dans Calcutta même, à l’église de Debendra-Nath-Tagore ; mais elle se proposait en outre d’organiser tous les Brahma somajes du pays en une fédération dont elle serait le centre. À l’instar des