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risé, dans l’Inde même, le vrai sens des Écritures hindoues, enfin qu’elles étaient rédigées dans une langue morte, le sanscrit, peu connu même des théologiens indigènes, en dehors de quelques centres d’études sacerdotales. Aussi le Brahma Somaj se décida-t-il, pour terminer des controverses grandissantes, à charger quatre jeunes pandits de copier, à Bénarès même, la collection des quatre Védas, dont la ville sainte du brahmanisme possédait seule un exemplaire complet et soi-disant authentique. Cette mission dura deux ans, et, lorsque le résultat de ses travaux fut communiqué au Brahma Somaj, nul ne put plus s’y refuser à la désolante conviction que, à côté d’enseignemens sublimes, les Védas renfermaient, en même temps que la justification des superstitions les plus grossières, un ensemble de dogmes inconciliable avec les principes du monothéisme.

Cette fois l’infaillibilité des Écritures fut courageusement jetée par-dessus bord, et le Brahma Somaj, rompant avec la tradition de l’hindouisme, comme avec le caractère distinctif de toute religion révélée, devint une église purement déiste, — la première peut-être, après l’unitarisme, qui ait jamais acquis une sérieuse importance dans le monde. Bebendra-Nath-Tagore lui fit adopter, sous le nom de Brahma Dharma, « le Credo du théisme, » une profession de foi en quatre articles qui, sans tomber dans un dogmatisme exagéré, résumait les principes élémentaires de tout culte monothéiste maintenu dans les bornes de la religion naturelle : — l’unité et la personnalité de Dieu, — l’immortalité de l’âme, — l’efficacité morale de la prière, — et la nécessité du repentir pour le rachat des fautes. Jusqu’à cette réforme, la partie la plus importante du culte, c’est-à-dire la récitation des textes sacrés, s’y passait entre brahmanes, à portes fermées, et les adeptes d’autre caste n’étaient admis qu’à l’audition du sermon ainsi que des hymnes. Désormais le Brahma Somaj n’admit plus de distinction entre les fidèles, et il en fut récompensé par les nombreuses adhésions qui lui arrivèrent non-seulement de Calcutta, mais encore de la province. En peu de temps il put constituer des branches affiliées sur plusieurs points du Bengale. Toutefois, telle est la persistance des préjugés sociaux que la plupart des brahmaïstes restaient toujours soumis aux prescriptions de caste sanctionnées par l’ancien culte, notamment dans l’importante question du mariage. Bien plus, d’excellens esprits, — qui, du reste, se retrouvent ailleurs que dans l’Inde et chez les brahmaïstes, — continuaient à pratiquer dans leur famille, par pur respect humain, des cérémonies, que, dans le Brahma Somaj, ils dénonçaient comme contraires à la raison et à la dignité humaines. C’est que les convictions des brahmaïstes manquaient encore de cette ferveur, prête à tous les sacrifices, qui,