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duchesse Anne s’était au contraire mise au lit très tard ce soir-là. « M. de Louvois, concluait La Pierre, me paraît dans les intérêts de Madame Royale ; il faut le détromper de cent sottises que Lafayette lui a mises en tête. »

Les six ou huit mois que le marquis passa en France furent consacrés à ce travail de contre-mine. Au moment de retourner en Italie, il avouait franchement qu’il n’était pas plus avancé qu’au premier jour en ce qui touchait le roi et ses ministres ; chaque fois qu’il entamait une affaire avec eux, il reconnaissait promptement que l’infatigable comtesse avait pris les devans. Il fut un peu plus heureux avec les courtisans et put se vanter d’avoir « désabusé Monsieur le duc de bien des choses dont Mme de Lafayette l’avait prévenu. » En somme, sa mission avait échoué tout comme celle du comte Costa. Ni l’un ni l’autre n’obtinrent que Louis XIV s’ingérât un peu moins dans le domestique de la famille souveraine de Savoie. Il continua d’intervenir en faveur de Madame Royale, et Victor-Amédée, à qui il ne convenait pas encore de jeter le masque, continua de recevoir les admonitions du roi avec d’hypocrites protestations d’amitié et de déférence. La publication de M. Perrero s’arrête au départ de Paris du marquis de La Pierre, mais il est constant que le commerce entre Madame Royale et Mme de Lafayette se prolongea jusqu’à la mort de cette dernière, en 1693. Celui de Madame Royale avec Louvois ne se ralentit pas non plus ; M. Rousset cite des fragmens de mémoires dressés par la princesse pour le gouvernement français en 1690. Ces manœuvres eurent pour épilogue le petit discours que Victor-Amédée adressa au comte de Tessé, en ratifiant (29 juin 1696) le traité par lequel nous lui rendîons Pignerol démantelé : « Au moins, monsieur le comte, suppliez le roi de me donner un ambassadeur qui nous laisse en repos avec nos moutons, nos femmes, nos mères, nos maîtresses et nos domestiques ; le charbonnier doit être le patron dans sa cassine ; et depuis le jour que j’ai eu l’usage de raison, jusqu’au jour que j’ai eu le malheur d’entrer dans cette malheur use guerre, il ne s’est quasi pas passé une semaine que l’on n’ait exigé de moi, soit par rapport à ma conduite ou à ma famille, dix choses où, lorsque je n’en ai accordé que neuf, l’on m’a menacé. Vous entendez bien, sans vous en dire davantage, ce que cela signifie. » Le marquis de Saint-Thomas disait de son côté au comte de Tessé, au sujet d’un seigneur français que Victor-Amédée refusait de recevoir : « Il suffit qu’il soit parent de Madame Royale pour que sa personne et son nom soient insupportables à Son Altesse Royale[1]. » On conçoit la rancune du duc contre sa mère en songeant à la longue

  1. Tessé au roi, dépêches du 1er juillet et du 11 août 1696.