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« Ce 27e mai 1680.

« Vous attendez de moi une critique sur la harangue de M. l’abbé de Saint-Réal : vous n’en aurez point ; vous aurez à la place des corrections sur votre relation. Elle est trop belle, il ne faut point de fleurs ni d’air égayé dans ces natures de choses, il faut que tout soit noble et simple : au moins c’est le goût présent de ce pays ici ; mais je doute que ce soit celui du lieu où vous êtes : ainsi je ne vous condamne pas. Les périodes longues ne sont pas aussi du style que l’on aime ; j’ai vu une lettre dans le Mercure galant, qui doit être de vous ; je songeai bien en la lisant que je ne vous la laisserais pas porter en l’autre monde et que je vous ferais la guerre de la longueur des périodes. Voilà tout ce qu’une fluxion sur le visage me permet de vous dire ; j’ai bien envie d’y ajouter que de faire rapporter un mot à un autre n’est point encore à notre mode parce que cela ne fait point de clarté ; je vais vous donner un exemple, car vous ne m’entendriez pas : « Sa modestie la fit rougir de ses propres louanges et sa justice l’obligea à en donner. » Il faut aller chercher pour trouver ce que veut dire donner ; nous ne voulons point de cela, la vivacité française craint cette peine. Je n’ai point eu des nouvelles de la marquise de Saint-Maurice, envoyez-lui ma lettre ; je crois que celle-ci vous empêchera de vous donner au diable pour savoir ce que je pense de la harangue[1]. »

Cette horreur du style gonflé et enrubanné, cet amour de la clarté, de la sobriété, du naturel, sont tout à fait de l’écrivain qui ramena le roman des grandes phrases et des grandes catastrophes de l’Astrée et du Cyrus à la simplicité d’action, de sentimens et d’expressions de la Princesse de Clèves. A la cour d’Henriette d’Angleterre, Mme de Lafayette travaillait déjà à réformer les manières de parler ridicules. Elle se moquait de l’amphigouri et du prétentieux dans des lettres supposées qui couraient le monde et faisaient autorité.

Mme de Lafayette subit son premier et, à ce qu’il semble, son seul échec diplomatique dans une occasion qui attira à Madame Royale l’inimitié de la grande Mademoiselle. Les troupes françaises avaient occupé Casal le 30 septembre 1681. Le choix du commandant de l’armée du roi en Italie importait beaucoup à la régente de Savoie. Elle jeta les yeux sur Lauzun, son ami d’enfance, sans réfléchir qu’attirer Lauzun loin de Paris, c’était se brouiller avec Mademoiselle. Or Mademoiselle venait justement de faire sa donation au duc du Maine, ce qui obligeait Louis XIV à lui témoigner quelques

  1. Archives de Turin, Francia, lettere ministri.