Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/372

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faible redevance à titre d’impôt personnel, leurs cultures dans les montagnes échappant à tout contrôlée Cependant, ils obéissent à des chefs héréditaires, auxquels le gouvernement annamite donne l’investiture avec le titre de chef de Canton.

Avant d’arriver au dernier rapide, du nom de Thac-thu, l’on doit en passer deux autres peu dangereux. Ensuite, pendant une quinzaine de milles, la route est libre d’obstacle. Le fleuve, dont la largeur ordinaire est de 300 mètres, coule dès ce moment entre deux rangées de collines, derrière lesquelles on voit apparaître au second plan, des sommets de 5 à 600 mètres. Ces sommets sont recouverts d’une belle végétation, où le vert clair des bananiers sauvages se mélange à d’autres nuances de même couleur. C’est aussi le pays du bambou ; toute la forêt est pleine de cette graminée gigantesque dont les habitations du Tonkin sont formées. Là, comme en Chine, en Océanie, le bambou, — un véritable bienfait pour ces contrées, — remplace le bois et le fer, trop chers aux pauvres gens. On en fait d’immenses radeaux qui descendent incessamment les cours d’eau. Dans les massifs de verdure qui bordent les rives et que l’on croit tout d’abord déserts, on entend le machete des bûcherons, frappant sans relâche les grands bambous, ainsi que le bruit de la chute de leurs tiges touffues et élégantes.

Après avoir franchi les rapides, l’on arrive devant un établissement formé par les Chinois, établissement qui porte le nom de Tuân-Quan. Il est bâti sur le versant d’une colline dominant la rive gauche du fleuve ; on n’y voit qu’une forte palissade en bambous, percée de quelques ouvertures pour laisser passer un homme ; chaque soir ces passages sont bouchés. Dans l’intérieur de l’enceinte se trouve un village d’une centaine de maisons, presque toutes grandes et propres, et qui sont habitées par deux ou trois cents Chinois vivant avec des femmes du pays. Cette population, qui forme ce que nous appelons un établissement, ne paraît pas avoir une grande affection pour les Européens ; mais se révolterait-elle qu’il suffirait de la vue d’un képi européen pour la mettre à la raison. Tuan-Quan est la résidence d’un mandarin annamite, lequel a l’air de commander aux Chinois, mais en réalité, c’est lui qui est leur serviteur. Sa principale fonction consiste à réunir parmi les rares habitans du pays les corvées que lui demande le chef des Pavillons-Noirs, et à faire sans doute des rapports aux autorités de la province sur ce qu’il voit autour de lui.

Le pays que l’on parcourt avant d’arriver au hûyen[1] de Ha-Hoa, était très habité il y a vingt-cinq ans ; on y trouvait une

  1. Arrondissement.