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qui serait vraiment positive, non-seulement sans élémens théologiques, mais même sans élémens métaphysiques, serait-elle complète et suffisante ? verra-t-on arriver dans l’ordre moral comme dans l’ordre scientifique cet âge rêvé par le positivisme où, grâce à la succession des trois états de la pensée humaine, la science pure aura remplacé tout à la fois les mythes des théologiens et les entités des métaphysiciens ? — Tel est aujourd’hui l’état de la question. Nous l’aborderons directement dans des études ultérieures, où nous examinerons jusqu’à quel point la morale positiviste est suffisante pour la conduite humaine ; aujourd’hui nous nous bornons à rechercher la part de vérité et les erreurs de détail qu’elle renferme sous les diverses formes que les écoles françaises lui ont données.


II

Si l’on compare les bases scientifiques de la morale dans le positivisme français et dans l’évolutionnisme anglais, les Anglais sembleront supérieurs sur plusieurs points et inférieurs sur d’autres. D’abord, en ce qui concerne la nature et les origines physiologiques de l’altruisme, M. Littré nous paraît trop porté à renfermer le besoin général de génération, — nous dirions plus volontiers de production physique ou intellectuelle, — dans l’idée un peu étroite de sexualité. Sous cette forme, la théorie de M. Littré se soutiendrait difficilement. L’enfant aime sa mère, aime ses camarades, avant le développement en lui de la sexualité ; en général, la sympathie de l’être animé pour les êtres de son espèce ne paraît pas dépendre de la sexualité et précède même l’instinct sexuel. Bien plus, chez tous les animaux la possession sexuelle réciproque, ne pouvant s’étendre qu’à un très petit nombre d’individus, entraîne un esprit de jalousie et d’exclusion : l’affection mutuelle du mâle et de la femelle ne souffre point de partage ; c’est ce qui fait de la famille une société fermée, une sorte d’égoïsme à deux. Aussi a-t-on remarqué que l’instinct social est, chez les animaux, en opposition avec l’instinct domestique : ce n’est pas par l’amour mutuel des sexes que la sociabilité des peuplades se fonde, c’est par l’affection réciproque des frères, des jeunes animaux. Ceux-ci forment entre eux une société qui ne repose sur aucun lien de sexe ni de filiation et qui n’a point la reproduction pour but ; dès lors, les affections qui en dérivent peuvent s’étendre sans obstacle à un plus grand nombre d’individus et former la transition entre les affections domestiques et les affections sociales[1]. La sexualité est

  1. Voir M. Espinas, des Société animales.