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constituer deux des plus grandes nations des temps modernes, les scandinaves ont été à beaucoup d’égards leurs maîtres et leurs civilisateurs.


III

L’histoire de l’occupation danoise dans les Iles britanniques, étudiée par M. Worsaae, nous montre que les Danois avaient si peu ramené la barbarie dans ces îles, qu’ils ont, au contraire, contribué à en développer la civilisation. Certes, ce n’étaient point des barbares ces Danois dont Alfred le Grand recherchait le concours, qui se faisaient une place dans le haut clergé et la vieille aristocratie de l’Angleterre. Leurs établissemens avaient précédé la conquête qu’ils devaient faire de ce pays, et peu à peu, grâce à leur supériorité, ils y avaient étendu leurs colonies et leur influence, déjà grande au temps du roi anglo-saxon Edgar. La famille royale qui régnait sur le sol d’Albion contracta plus d’une fois des alliances avec le sang danois. La population de l’Angleterre ne témoigna en bien des cantons aucune aversion pour les Danois, et c’est ainsi que le grand Canut put régner simultanément sur la terre des scandinaves et sur celle des Anglo-Saxons, où il laissa un nom vénéré pour la justice et la sagesse avec laquelle il avait gouverné. Il arriva que les deux peuples commencèrent à se confondre, et le mélange serait devenu sans doute plus intime, si les fils de Canut avaient hérité des talens et du génie administratif de leur père. Mais les vieilles querelles, les divisions intestines se réveillèrent, et l’introduction du christianisme en Scandinavie, au lieu d’infuser aux Vikings une force nouvelle, ne fit qu’affaiblir leur énergie. Les Danois établis en Angleterre ne trouvèrent plus chez leurs frères de la Baltique l’appui sur lequel ils auraient dû compter. L’union se brisa, mais l’Angleterre n’en conserva pas moins sa population danoise qui, tout en se mêlant aux Anglo-Saxons, garda cependant quelque peu son caractère propre et en a laissé même à divers égards l’empreinte sur le génie anglais. Les Danois avaient fini par constituer une fraction considérable, sinon la partie tout à fait prépondérante de la population d’un certain nombre de grandes villes du nord de l’Angleterre. Divers cantons de cette île étaient habités par des hommes d’origine danoise ayant conservé leurs lois et leurs habitudes nationales. Le souvenir de la domination qu’ils avaient exercée leur faisait difficilement supporter l’autorité de princes qui n’appartenaient pas à leur race, et le pouvoir des rois anglo-saxons en fut singulièrement affaibli. Aussi semble-t-il que la conquête normande ait trouvé un puissant auxiliaire dans cet