Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 41.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

littéraire s’est d’abord fait sentir. Les scaldes composèrent des chants, des poèmes sous l’inspiration du grand dieu de leur race, Thor, assimilé par les Latins à Jupiter. Des runes soigneusement gravées sur le roc, sur des pierres de granit ou de calcaire, associées à des dessins représentant des têtes d’hommes, d’animaux, des êtres fantastiques, des entrelacs, des dragons et des serpens, décoraient les monumens funéraires destinés à consacrer la mémoire des héros dont ces bardes du Nord célébraient les exploits. J’ai parlé plus haut du tombeau de la reine Thyra et du roi Gorm. Entre les deux tumulus s’élèvent deux monumens runiques des plus intéressans, car ils nous fournissent comme deux pages des annales de la Scandinavie. Sur le plus petit se lit l’éloge du prince qui l’avait fait élever en l’honneur de ses ancêtres, le roi Harald Blaatand, qui réunit sous une même domination le Danemark et la Norvège ; où il introduisit le christianisme. Cette pierre marque une époque nouvelle dans l’histoire des peuples scandinaves et annonce la chute de la société païenne, dont l’art et les vieilles habitudes y demeurent encore empreints, car à côté de l’inscription en l’honneur du roi se retrouvent ces entrelacs de dragons et de serpens, si chers aux artistes normands. Mais la foi nouvelle perce au travers de cette décoration toute païenne. Au milieu des entrelacs que forment par leurs nœuds les reptiles fantastiques, se reconnaît l’image du Christ, debout, la tête ceinte de l’auréole. Le système favori de décoration du vieil art scandinave persista longtemps après la disparition des croyances religieuses qui l’avaient fait naître. Ce style, qui apparaît chez les Scandinaves dans les bijoux en métal, vers le commencement du VIe siècle de notre ère, que caractérisent l’abondance des lignes courbes, des entrelacs, des tresses, des reliefs proéminens, l’emploi comme sujets de décoration de figures humaines, de têtes de quadrupèdes, d’images d’oiseaux, de serpens contournés, de plantes et de fleurs, s’est continué pendant tout le moyen âge chrétien, et M. Vedel, auquel on doit un savant travail sur les antiquités de l’île de Bornholm, nous apprend qu’on rencontre encore pareil mode de décoration dans des ornemens en bois sculpté, fabriqués aujourd’hui dans certaines vallées de la Suède et de la Norvège. Toutefois, l’influence d’un goût nouveau modifia quelque peu ce système d’ornementation, et là où il persista, il n’affecte pas absolument le même type qu’il présentait à l’origine. Il en fut, au reste, de la décoration comme des idées religieuses qui l’avaient suggérée. Les vieilles croyances scandinaves vécurent sous forme de superstitions à côté des croyances chrétiennes qui les avaient dépossédées. On a recueilli en Norvège, en Suède et en Danemark, comme on l’a fait pour la