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de la Baltique et du Cattégat, nous pouvons constater l’usage de pareils vaisseaux chez leurs frères de la Neustrie. Les Normands qui devaient envahir l’Angleterre nous ont laissé de leurs vaisseaux des images autres que ces grossières représentations de navires qui sont en Scandinavie associées à d’antiques inscriptions runiques. Nous observons sur la célèbre tapisserie de Bayeux, dite tapisserie de la reine Mathilde, des spécimens de ces gros bâtimens que montaient les hommes du Nord et dont il est question dans les Sagas. On y voit des vaisseaux gréés de larges voiles, habilement matés, et dont la manœuvre paraît être faite avec adresse et avec ensemble. On est donc fondé à attribuer aux Vikings des forces navales considérables pour le temps et une habileté spéciale dans la construction des navires. L’art de sculpter le bois et sans doute aussi de le peindre s’exerçait dans la décoration de leurs bâtimens, dont la double proue affectait la forme de têtes d’oiseaux, de poissons ou de reptiles. Les chroniqueurs nous dépeignent les vaisseaux des Vikings comme ornés de figures brillantes et relevés sur leurs bords de dorures d’un grand éclat ; ils nous rapportent que les voiles des vaisseaux que montaient les chefs étaient brodées de soie à l’instar des étendards de guerre des Danois, qui avaient un corbeau pour emblème. Il est vrai que ce luxe qu’apportaient les Scandinaves dans la construction et le gréement de leurs navires n’implique pas nécessairement un luxe correspondant dans les usages de la vie. Ils auraient pu réserver à ces seuls bâtimens, qui étaient leur orgueil et leur force, les créations d’un art naissant, car on sait que certaines populations de la Polynésie avaient atteint dans la confection de leurs pirogues à une véritable élégance, qu’ils les rehaussaient d’images et de décorations en relief. A l’époque de la conquête des Gaules par Jules César, les peuples de l’Armorique, qui demeurèrent pendant longtemps dans un état assez barbare, savaient pourtant construire de solides vaisseaux. L’une de ces nations, les Vénètes, possédait de puissans bâtimens pourvus d’agrès en fer et dont les bordages étaient fort habilement assemblés. L’architecture navale chez les Vikings ne suffirait donc pas à nous convaincre qu’ils se trouvaient au IXe et au Xe siècle dans un état de civilisation assez avancée, mais les vêtemens qu’ils portaient, le luxe qu’affectaient leurs chefs sont an autre indice du développement qu’avaient pris alors chez les Scandinaves la fabrication des objets de parure et en général les industries qui se rapportent aux besoins de la vie.

On a plusieurs fois rencontré en Danemark et en Norvège, dans des sépultures remontant à une époque antérieure à l’établissement du christianisme, de fines étoffes de soie brochées d’or. Dans un tumulus existant à Mammen en Jutland, et qui date de la fin des temps païens, tumulus dont M. Worsaae nous a fait connaître les