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les fortes qualités dont était dotée leur race. Voilà pourquoi les Vikings ont dû apparaître dans le principe à l’Europe occidentale comme des corsaires, pourquoi celle-ci n’a vu en eux qu’une nation d’écumeurs de mers. Les anciennes populations de la Grèce ne se représentaient pas autrement les Phéniciens et les Tyrrhéniens, et presque aucun habitant des contrées méridionales n’allant par lui-même, du VIIIe au XIe siècle, visiter les parages glacés et lointains d’où sortaient ces essaims de corsaires, la société chrétienne devait se les figurer comme un pays de barbares ; le paganisme auquel les indigènes demeuraient attachés ne faisait qu’ajouter à l’horreur qu’ils inspiraient par leurs dévastations sur nos côtes. Mais si les Normands n’avaient réellement été que des barbares, comment auraient-ils eu presque toujours l’avantage sur les populations de l’Occident, héritières de la science militaire romaine ? Ils n’auraient pu être en possession que d’armes assez grossières, et leurs embarcations se seraient réduites à de simples pirogues auxquelles ils se seraient confiés avec la hardiesse qui est le propre des populations insulaires et côtières et que signalaient chez les Polynésiens les premiers explorateurs de la Mer du Sud. Tout tend à prouver au contraire qu’ils avaient fait de notables progrès dans la construction navale, que leurs bâtimens n’étaient pas de simples barques, telles qu’en peuvent construire des sauvages, qu’ils s’étaient créé une marine régulière, qu’ils armèrent des flottes puissantes, que ce que les Occidentaux ont pris pour des ramas de corsaires étaient de véritables armées navales composées de la partie la plus brave et la plus jeune de la population et que commandaient même parfois les princes et les rois. En effet, outre les bateaux destinés à remonter les fleuves, ils avaient de grands navires manœuvrés par de nombreux rameurs et pourvus d’équipages exercés et considérables ; ils donnaient à ces bâtimens de haut bord, à raison de leur structure allongée, les noms de dragons (Drageskibe), de serpens ailés (Lindorme), de serpens (Snekkar), et les Sagas nous parlent souvent des exploits de ceux qui se lançaient sur les mers montés dans ces maisons flottantes. Le roi norvégien Olaf Trygvesön, dans le fameux combat de mer de Svöldr, livré non loin de Greifswald, en l’an 1000, commandait un bâtiment appelé Ormen hin Lange, c’est-à-dire le long serpent, qui était pourvu de trente-quatre rangs de rameurs. Sous les rois danois, à la même époque, il est parlé quelquefois de navires plus grands encore. On n’a rencontré jusqu’à présent, il est vrai, ni dans les lacs ni dans les tourbières du Nord aucun débris pouvant se rapporter à d’aussi larges navires, mais des restes d’embarcations de fortes dimensions ont été trouvés sur divers points. D’ailleurs, si nous manquons de preuves matérielles pour établir l’existence de vaisseaux de haut bord chez les Scandinaves des rives