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d’intérêts. Ils ont tous si bien fait que le gouvernement français à son tour n’a pas pu se dispenser d’intervenir. Maîtresse de l’Algérie, c’est bien le moins que la France se préoccupe de ce qui se passe dans la régence voisine et tienne, non à exclure les autres étrangers, mais à ne pas laisser s’établir à Tunis un foyer d’influences hostiles, une sorte de camp ennemi. C’est ce qui arrivait ou ce qui se préparait ; le gouvernement n’a point hésité à couvrir nos nationaux, et la bataille s’est dénouée par des conventions qui sauvegardent désormais les intérêts français, par la déconvenue de la compagnie italienne. La question paraît tranchée à Tunis ; le reste s’arrangera entre les cabinets de Paris et de Rome.

L’incident tunisien, cela est bien clair, n’a eu un moment quelque gravité que parce qu’on en a fait un duel d’influences, et les vrais coupables sont ceux qui se sont efforcés d’engager l’amour-propre italien dans cette médiocre aventure, qui ont cru pouvoir impunément essayer d’établir sur la côte africaine de la Méditerranée un camp d’où ils pourraient au besoin tenir en échec l’ascendant de la France. C’était un acte d’hostilité aussi mal calculé que gratuit, puisque l’Italie n’a évidemment ni les titres, ni les intérêts qu’a la France sur la terre d’Afrique. L’Italie a ses ambitions, elle en a le droit ; elle est encore plus, depuis quelque temps, la dupe d’une illusion un peu maladive qui se traduit sous plus d’une forme dans une politique extérieure livrée aux hasards. Elle est la victime de ceux qui, au lieu de l’occuper de tout ce qui peut fortifier son indépendance, son unité nationale, rêvent pour elle le superflu, les conquêtes chimériques, et qui l’exposent à d’inévitables mécomptes en parlant tour à tour à son imagination de Trente, de Trieste et de Tunis. Que peut-elle aller chercher pour sa vraie grandeur à Tunis ? Est-ce qu’elle n’a pas assez à faire dans ses limites ? Est-ce qu’elle n’est pas frappée du chiffre croissant de ses émigrations en Amérique ou ailleurs, tandis qu’elle a chez elle des terres et des industries à féconder, des contrées entières à disputer à l’insalubrité ? Voilà les meilleures, les plus utiles conquêtes à poursuivre. Le reste n’est que pure fantaisie d’esprits remuans et frivoles à la recherche de médiocres succès. Ce qu’il y a de curieux, d’instructif, c’est que ceux qui compromettraient si aisément l’Italie dans toutes les aventures sont aussi ceux qui ne cessent de chercher les occasions de témoigner leurs mauvais sentimens, leur hostilité contre la France, au risque d’être infidèles à la politique par laquelle l’Italie a pu revivre. Les ministres de la gauche, qui règnent depuis quelques années à Rome, ne se prêtent pas sans doute à cette politique ; ils ne la découragent pas toujours assez, même quand ils refusent de la suivre jusqu’au bout. L’incident de Tunis est un des résultats, le plus récent, non pas le seul, de cette faiblesse. On l’a laissé naître, on l’a laissé grandir plus que de raison.