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comités d’action ; quand les princes ont à son égard des velléités d’indépendance, les comités et les chefs de parti se chargent de les mettre à la raison. L’Autriche veut du bien aux Grecs parce que les Grecs ne sont pas des Slaves, mais elle veut avant tout le maintien du statu quo ; elle sent que toute agitation nouvelle, toute entreprise violente contre le Turc profiterait à la Russie, et elle peut compter pour l’assister dans sa politique conservatrice sur le puissant concours de son puissant allié, l’empire d’Allemagne. La Russie n’a cure que des Bulgares, elle aime peu les Grecs, mais elle leur saurait un gré infini de rouvrir la question d’Orient, ce qui lui fournirait l’occasion de mettre enfin sur pied sa Grande-Bulgarie, et il s’est trouvé que, dans cette occurrence, l’appui de l’Angleterre, représentée par M. Gladstone, lui était acquis, non que M. Gladstone entende lui livrer l’Orient, mais il déteste deux choses, le croissant et Rome. Monténégrins, Serbes ou Bulgares, tout ce qui n’est ni musulman ni catholique peut faire appel à sa bienveillance. D’ailleurs il est convaincu que le plus sûr moyen d’arracher les Slaves du midi à l’influence russe est de leur accorder tout ce qu’ils demandent, parce que, n’ayant plus rien à désirer, ils n’auront plus besoin d’un protecteur, — comme s’il avait jamais existé un seul Slave qui n’eût plus rien à désirer ! Enfin il avait pris pendant sa dernière campagne électorale des engagemens qui le lient. Son éloquence est la trompette qui a renversé les murs de Jéricho ; les trompettes sont quelquefois trop bruyantes, elles parlent trop, et leurs souvenirs les gênent lorsqu’on les convie brusquement à présider et à diriger un cabinet. Quant aux Italiens, ils ne s’intéressent bien vivement ni aux Slaves ni aux Grecs, mais il leur importe que l’héritage du Turc ne tombe pas tout entier dans les mêmes mains. D’autre part, ces enfans gâtés de la fortune, toujours a l’affût des occasions, ne craignent pas les grands vents qui remuent les grandes eaux ; ce sont d’incomparables pêcheurs. Voilà ce qu’on appelle le concert européen, et voilà pourquoi il s’est trouvé en Europe plusieurs puissances peu disposées à rouvrir la question d’Orient, en prenant en commun des mesures de rigueur contre le sultan.

Cependant la diplomatie s’était avisée d’un mode d’exécution qui paraît à tous les dangers, qui sauvait tous les inconvéniens. Elle avait décidé que le meilleur moyen de prévenir un périlleux conflit entre le sultan et le roi George était de faire occuper l’Albanie par une des six puissances signataires, en confiant cette tâche à la plus désintéressée, à celle dont les intentions étaient le moins suspectes et le plus limpides. — Il y a en Europe, se disait-on, une puissance disposée à s’acquitter des besognes ingrates qui ne rapportent rien, une puissance qui a des inclinations chevaleresques et le goût de faire le bonheur d’autrui, une puissance qui se console de tous les sacrifices qu’elle s’impose par le