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Il appartiendrait à la France de faire faire à l’égyptologie ce pas décisif. C’est elle, on le sait, qui lui a en quelque sorte donné la vie avec Champollion ; depuis lors, elle n’a pas cessé de seconder ses progrès par les plus intelligens et les plus fructueux efforts. Malheureusement la jeune école égyptologique française est lancée dans une voie qui ne saurait la conduire à d’aussi grands résultats. Imitatrice beaucoup trop servile de l’Allemagne, elle se perd dans les études de détail, dans les observations méticuleuses, dans les recherches purement grammaticales. Ce n’est pas ainsi qu’elle arrivera à donner l’essor à une véritable histoire. L’archéologie en chambre a son utilité ; Dieu me garde d’en médire ! Mais lorsqu’il s’agit de faire surgir d’un sol encore incomplètement fouillé tous les secrets qu’il recèle, l’archéologie voyageuse est préférable. Il faut d’abord des pionniers à la science historique ; les colons viendront plus tard ; ou plutôt pionniers et colons doivent venir ensemble et travailler côte à côte. Si perspicace que soit un égyptologue, l’étude des papyrus, l’examen des musées d’Europe, la lecture des descriptions du musée de Boulaq et des temples de la haute Égypte ne remplaceront jamais pour lui la vue, l’impression directe des choses. Pour résoudre, par exemple, le problème de la religion égyptienne, rien ne vaut les longues heures de méditations solitaires dans les temples où cette religion a laissé une trace si profonde. Il semble que les objets s’animent, parlent aux yeux, à l’âme, à l’imagination, revivent après tant de siècles, de la vie ardente qui les animait autrefois. L’archéologie ne va pas sans un peu de poésie ; j’en demande pardon aux rigoristes de l’école allemande ! Dans tout véritable archéologue, à côté de l’érudit, il y a l’homme doué d’une sorte de divination qui ressuscite et galvanise les vieux âges raidis par le temps. Il convient d’ajouter que les hiéroglyphes innombrables contenus dans les temples et les monumens sont bien loin d’avoir été tous lus, tous publiés. Si l’on ne vient pas les trouver en Égypte, on ne les rencontrera certainement pas de longtemps en Europe. L’admirable ouvrage de l’expédition française, définitif en ce qui concerne l’architecture égyptienne, est absolument nul en ce qui concerne la science hiéroglyphique qui n’existait pas à l’époque où il a été composé. L’ouvrage de la mission allemande est fort incomplet et manque de précision. Les publications spéciales sont rares. Il serait digne de la France de donner un pendant à l’ouvrage de l’expédition française en se chargeant de la publication de tous les documens historiques et hiéroglyphiques qui ont été trouvés jusqu’ici et qui devraient être mis enfin à la disposition et sous les yeux des savans du monde entier. Étant donnés les immenses progrès des procédés photographiques, rien