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ses résultats. C’est à peine, au contraire, si elle a donné une légère partie de ce qu’elle peut, de ce qu’elle doit donner ; c’est à peine si ses traits généraux ont été établis, tandis que ses détails essentiels sont toujours à découvrir. Encore convient-il d’avouer que sur presque tous les points elle a soulevé plus de problèmes qu’elle n’en a résolu. Nous avons déjà dit que la chronologie de l’ancien empire était un mystère. A plus forte raison n’avons-nous aucune donnée sérieuse sur l’époque qui a précédé l’ancien empire. Les périodes franchement historiques elles-mêmes sont remplies pour nous de lacunes, de doutes, d’incertitudes. Ce n’est pas seulement l’histoire des Hycsos qui serait à refaire ; il serait possible que ce fût toute l’histoire d’Égypte. Elle est uniquement fondée jusqu’ici sur le témoignage de Manéthon. Mais jusqu’à quel point les listes de dynasties de Manéthon méritent-elles une confiance absolue ? N’y a-t-il rien à y changer ? Pour combler, par exemple, le vide béant que nous avons constaté, de la sixième à la onzième dynastie, ne faut-il pas modifier quelque peu les données qu’elles nous fournissent ? Ce qui nous paraît inexplicable ne s’expliquerait-il pas, par hasard, au moyen d’une erreur plus ou moins volontaire de l’historien national ? Dans un autre ordre d’idées, que de problèmes nous offrent encore la religion, la philosophie, l’art égyptien ! Nous avons cru trouver dans la religion de l’Égypte un panthéisme païen divinisant toutes les forces de la nature, faisant de l’univers, sans cesse bouleversé par la lutte de principes contraires, la cause unique de toutes les révolutions de l’âme et des corps. Mais la thèse de Jamblique peut se soutenir aussi par d’excellentes raisons, et l’un des égyptologues les plus distingués de ce temps-ci, M. Maspéro, n’a pas hésité à l’adopter dans son Histoire ancienne des peuples de l’Orient. Il y a beaucoup à faire pour nous initier complètement à la littérature et aux arts égyptiens. Cette littérature est un peu terne. A part quelques chants de victoire qu’anime un souffle lyrique digne de la Bible, quelques belles mais confuses invocations religieuses, elle se compose surtout d’ouvrages pratiques, terre à terre, de romans médiocrement variés qui reproduisent avec une désespérante monotonie l’histoire édifiante de Joseph. Dans les romans égyptiens, c’est toujours la femme qui attaque et l’homme qui se dérobe : trait de mœurs littéraires d’une incontestable originalité ! En somme, toutes les notions que nous avons sur l’Égypte sont vagues, décousues, incomplètes ; les élémens de la science existent, les fondemens en sont posés ; les procédés d’exécution sont établis ; mais c’est tout : l’heure serait venue de faire un pas décisif et de préciser la science elle-même d’une manière telle qu’elle pût prendre rang parmi les grandes découvertes de notre siècle.