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son secours les Éthiopiens ; pour cimenter une amitié qui lui était nécessaire, il épousa même une femme de leur nation. L’élimination fut d’ailleurs incomplète. Un certain nombre de pasteurs restèrent acculés dans l’orient de la Basse-Égypte, où ils formèrent une colonie étrangère dans le genre de celle des Israélites. Comme on vient de le voir, ils n’ont pas eu de Moïse puisqu’ils sont encore à la place où les Égyptiens les ont laissés il y a tant de siècles. Les haines qu’ils avaient inspirées aux jours de leur triomphe ont disparu, malgré les tardifs cris de rage de Manéthon. L’Égypte ne sait ni aimer ni haïr fortement ; elle a trop l’habitude des violences pour détester longtemps ceux qui lui en font. Bien avant l’islamisme, elle était fataliste et regardait le mouvement des choses humaines comme un jeu inévitable qu’il faut savoir comprendre et auquel il est rarement bon de résister.


IV

On ne s’étonnera pas de l’importance toute particulière que j’ai accordée à la salle de l’ancien empire et à la salle des Hycsos du musée de Boulaq. C’est à l’arrangement de ces deux salles que les plus grandes modifications ont été apportées dans la nouvelle organisation du musée. M. Mariette a concentré dans la première tout ce qui concerne l’époque lointaine et mystérieuse où la civilisation a fait sa première apparition sur les bords du Nil, et peut-être dans le monde ; il a réuni dans la seconde les monumens les plus curieux et les plus instructifs d’une époque jusqu’ici mal appréciée. Comme je l’ai dit en commençant, le musée de Boulaq n’est pas une collection plus ou moins intéressante d’objets archéologiques pris un peu partout pour être déposés dans un même local sans ordre et sans méthode : c’est le produit de fouilles savantes, où tout a été combiné en vue d’un but précis, déterminé, poursuivi sans relâche à travers les plus grands obstacles. Œuvre d’un seul homme, qui a mis au jour depuis une vingtaine d’années d’innombrables trésors enfouis sous la poussière des siècles, il porte l’empreinte profonde de la pensée de cet homme et des différens objets qui ont principalement attiré ses études. Quand on en parcourt les galeries, fût-ce d’un œil distrait, il est impossible de ne pas être frappé de tout ce que M. Mariette a fait pour l’égyptologie, de ne pas se demander ce que cette science serait aujourd’hui sans lui. Qui donc, avant ses belles découvertes, soupçonnait les révélations que devait nous apporter l’ancien empire ? Qui se faisait une idée tant soit peu exacte de ce monde nouveau, perdu au-delà des frontières de l’histoire, où nulle voile, nulle boussole