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même temps que plat, les joues sont grosses en même temps qu’osseuses, le menton est saillant et la bouche se fait remarquer par la manière dont elle s’abaisse aux extrémités. L’ensemble du visage se ressent de la rudesse des traits qui le composent, et la crinière touffue qui encadre la tête dans laquelle celle-ci semble s’enfoncer donne au monument un aspect plus remarquable encore. A voir ces figures étranges, on devine qu’on a sous les yeux les produits d’un art qui n’est pas purement égyptien, mais qui n’est pas purement étranger[1]. »

Le mélange des formes égyptiennes et du goût asiatique constitue, en effet, le grand intérêt de ces échantillons de l’art des Hycsos. On y saisit en quelque sorte sur le fait, pétrifié dans le granit, l’action et la réaction de l’Égypte sur ses vainqueurs et de ses vainqueurs sur l’Égypte. L’Égypte impose ses formules invariables ; les vainqueurs les modifient tout en s’y soumettant, les transforment sans parvenir à s’en dégager, à se soustraire à leur domination. A côté d’un des sphinx de San, entièrement restauré, M. Mariette a placé, dans, la salle des Hycsos, un groupe de granit représentant deux personnages de grandeur naturelle disposés l’un près de l’autre devant des tables d’offrandes chargées de poissons, de volailles, de fleurs de lotus et de nénuphars. Le premier aspect de ce groupe a quelque chose d’étrange ; les figures, en partie mutilées, sont encadrées dans d’énormes perruques tressées et dans de longues barbes également tressées qui ressemblent de loin à de grandes cravates montant jusqu’aux oreilles ; on dirait deux têtes de merveilleux du directoire. Mais les traits du visage ont une expression bien différente. Je laisse encore parler M. Mariette : « La parenté de ces personnages avec les quatre sphinx est évidente, dit-il ; c’est la même figure que les artistes ont reproduite de part et d’autre… Le premier aspect de notre groupe laisse penser que ce monument est bien plus asiatique qu’égyptien, fait important pour les conséquences qu’on en pourrait tirer ; mais la pose des personnages et l’unique vêtement, la schenti, qui couvre leur corps nous rapprochent tout à coup de l’Égypte. » Nous sommes évidemment là en présence de portraits historiques qui nous permettent de discerner les différences profondes du type des Hycsos et du type égyptien. « Le fellah égyptien, continue M. Mariette, est grand, svelte, léger dans sa démarche ; il a les yeux ouverts et vifs, le nez petit et droit, la bouche bien dessinée et souriante ; la marque de la race est surtout chez ce peuple dans l’ampleur du torse, la maigreur des jambes

  1. Lettre de M. Mariette à M. de Rougé sur les fouilles de Tanis (Revue archéologique, 1861, 1er semestre).