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comme récompense à ceux dont la vie aura été vertueuse. Loin de trouver là des peintures de la vie réelle, nous y trouverions donc des peintures de la vie idéale d’outre-tombe, telle que se la figurait un peuple qui, en religion comme en art, avait quelque peine à s’élever au-dessus de la terre et à ne pas s’emprisonner dans la réalité. Néanmoins le problème n’est pas encore résolu. Ce n’est que lorsqu’on aura fouillé toutes les tombes de l’ancien empire qu’on parviendra peut-être à reconstituer un autre Livre des morts, fort différent de celui que nous possédons, un Livre des morts dans lequel les espérances d’un bonheur bourgeois, d’un bonheur de propriétaire parcourant gaîment ses domaines, remplaceront les terribles épreuves et les félicités assez vagues annoncées aux hommes des époques ultérieures. Ce qui est intéressant à constater dès à présent, c’est l’absence complète d’images de la divinité dans tout ce qui nous reste de monumens de l’ancien empire. La stèle des sphinx nous apprend, il est vrai, que Chéops avait « restauré les dieux » du temple des Pyramides ; mais tandis que des statues de Chéphren lui-même ont été découvertes en grand nombre dans ce temple, celles des dieux n’y ont laissé aucun débris.

Dès l’ancien empire, la religion égyptienne était cependant constituée dans ses traits essentiels ; elle n’a guère subi depuis de variations importantes. Quelle religion peut se vanter d’avoir eu une existence comparable à la sienne ? Quand on parlait, au XVIIIe siècle, de la longue durée du christianisme, quand on appelait Rome la ville éternelle, on ne se doutait pas que le vieux culte égyptien, alors si mal connu, qui passait pour une grossière idolâtrie, pour un paganisme brutal, avait duré environ cinq mille ans et que les destinées religieuses de Memphis laissaient bien loin derrière elles celles de Rome. On ne sait pas encore très exactement quel était le principe de ce culte, le plus ancien de l’humanité civilisée. Sur la foi d’un passage célèbre de Jamblique, on a voulu y voir longtemps un monothéisme profond dissimulé sous une mythologie grossière. « Le dieu égyptien, dit Jamblique, quand il est considéré comme cette force qui amène les choses a la lumière, s’appelle Amnon ; quand il est l’esprit intelligent qui résume toutes les intelligences, il est Emeth, quand il est celui qui accomplit toutes choses avec art et vérité, il s’appelle Ptah ; et enfin, quand il est le Dieu bon et bienfaisant, on le nomme Osiris. » Caché derrière l’innombrable panthéon qu’adorait la foule, un Dieu unique, inaccessible, incommensurable, incréé, universel, abstrait, métaphysique, aurait été réservé à l’adoration des sages. Malheureusement, les inscriptions du temple de Dendérah semblent prouver que Jamblique a eu tort, et que c’est Eusèbe qui était dans le vrai lorsqu’il disait : « La théologie des Égyptiens, chez qui Orphée a puisé la sienne,