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A cette époque de sa vie, lord Edouard était moins occupé d’affaires politiques que d’affaires de cœur. Il avait tout ce qu’il faut pour faire un héros de roman : l’extérieur le plus séduisant, le courage le plus chevaleresque, une âme tendre et passionnée avec un caractère énergique et aventureux. Rien d’étonnant que les femmes aient joué un grand rôle dans son existence. Il avait déjà eu plusieurs aventures romanesques lorsqu’il rencontra une personne célèbre alors pour sa beauté, par son talent musical et par le nom de son mari. Elisabeth Limley avait paru à seize ans sur le théâtre et avait éclipsé du premier coup toutes les cantatrices de son temps. Sa carrière dramatique ne fut pas longue : en pleine jeunesse et en plein succès, elle quitta la scène pour épouser un homme de lettres pauvre et peu connu encore, auquel elle sacrifia vingt soupirans plus riches et plus haut placés. Il est vrai que l’adorateur préféré s’appelait Sheridan et qu’il plaidait la cause de son amour avec cette éloquence entraînante dont la chambre des communes devait subir, quelques années plus tard, l’irrésistible impression.

Ce mariage d’amour fut longtemps un mariage heureux. Mais un jour lord Edouard Fitzgerald fit la connaissance de Sheridan, probablement par Fox, leur ami commun et un peu le parent du jeune lord. Il vit Mme Sheridan et l’aima. Elle partagea sa passion et mourut, dit-on, de remords et de honte d’y avoir succombé. Tel est du moins le récit que fait dans ses Mémoires Mme de Genlis, qui se trouvait en Angleterre à l’époque de ces événemens et qui voyait fréquemment Fox, Sheridan et les autres chefs du parti whig. La gouvernante des enfans du duc d’Orléans était arrivée à Londres en 1791, amenant avec elle une jeune fille de dix-sept ans, qu’elle avait affublée du nom bizarre de Paméla, mais qui s’appelait en Réalité Nancy Syms. Thomas Moore, dans sa Vie de lord Edouard Fitzgerald, fait de Nancy Syms une fille naturelle de Mme de Genlis. D’après cette dernière, c’était tout simplement une petite Anglaise, choisie à l’âge de quatre ou cinq ans, à cause de sa gentillesse, pour parler l’anglais avec les enfans du duc d’Orléans. Quoi qu’il en soit, Mme de Genlis l’aimait comme une fille et nous verrons plus tard qu’elle la dota.

Paméla eut beaucoup de succès à Londres dans la société anglaise. Elle était jolie, elle avait un charmant caractère et, chose curieuse, elle ressemblait d’une manière étonnante à la pauvre Mme Sheridan, que regrettaient alors tous ses amis, et que pleuraient à la fois son mari et son amant. Sheridan, tout le premier, fut frappé de cette ressemblance et demanda la main de la jeune fille. Mme de Genlis eut le bon sens de la lui refuser ; non-seulement la disproportion