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indiquer les ressources et à signaler les obstacles. 183 jours après avoir quitté Sardes, Cléarque, guidé par Cyrus, avait franchi en 87 étapes un peu plus de 2,000 kilomètres. Il était ainsi arrivé, sans fatigues excessives, presque aux portes de l’antique cité de Sémiramis. « Je rougirai, j’en suis sûr, disait souvent Cyrus à ses auxiliaires, quand vous verrez quels hommes produit mon pays. » L’armée des Perses ne démentit pas ces paroles amères. Elle se montra, dès la première rencontre, aussi incapable de tenir tête aux hoplites du Péloponèse que les soldats de Montezuma de faire face aux arquebusiers espagnols. Le bruit seul des piques frappées sur les boucliers la mit en fuite. C’était, il est vrai, quelque chose d’imposant et de terrifiant à la fois que l’ébranlement d’une phalange d’hoplites. Les casques d’airain, les boucliers luisans, les tuniques de pourpre serrées à la ceinture s’alignaient dans la plaine, massés sur quatre rangs, sur huit rangs, sur seize rangs parfois de profondeur. Au signal de la trompette, les piques tombent en arrêt, la colonne se met en marche. Peu à peu le pas s’accélère, le fer des lances bat la charge sur l’écu et une immense clameur fait frissonner la plaine ; on vient d’entonner le péan. Les soldats se crient les uns aux autres de ne pas courir en désordre, de garder les rangs, de régler le pas sur le centre. Les escadrons qui voient venir à eux ce rempart vivant dont pas une pierre encore ne chancelle, se troublent et s’épouvantent. Ils tournent bride avant que les Grecs soient arrivés à portée de trait. Une foule nombreuse, de grands cris, voilà ce que la phalange a eu à combattre. Cyrus n’avait dit que trop vrai. A la bataille de Cunaxa, pas un seul soldat de Cléarque ne fut blessé ; Ménon, à l’aile gauche, eut un homme atteint, et cet homme fut frappé de loin par une flèche.

Lorsque, soixante-sept ans plus tard, Alexandre viendra cueillir les lauriers ravis, en l’année 395 avant l’ère chrétienne, au1 roi Agésilas par la jalousie de Thèbes et d’Athènes, il trouvera les états du grand roi plus affaiblis encore, car de sourdes divisions les agitent : « Le taureau est couronné, les apprêts sont finis, celui qui doit immoler attend. » Alexandre, à la bataille du Granique, ne perdra que 115 hommes, dont 30 fantassins ; la victoire d’Issus ne lui coûtera que 300 soldats d’infanterie et 150 cavaliers ; le triomphe définitif d’Arbèles s’achètera au prix de 500 morts. A la même époque, Agis, le roi de Sparte, et Antipater, sont aux prises : l’un perd 5,300 hommes, l’autre 3,500. C’est là ce qu’Alexandre, jaloux de toute gloire qui peut amoindrir la sienne, ne craint pas d’appeler « une bataille de rats. » Bataille de rats, en effet, de rats enfermés dans un tonneau. L’empereur Napoléon appelait