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du trouble croissant des esprits, de toutes les ressources de la politique. Les mines d’or de la Thrace, tombées entre ses mains, furent pour lui ce que seront un jour pour Charles-Quint les mines de Zacatecas. Il en tira chaque année près de 6 millions de francs, somme considérable dans un temps où le revenu imposable de la république athénienne ne dépassait pas 34 millions. On ne sait que trop l’usage que le roi de Macédoine fit de ses richesses : Athènes s’était longtemps débattue entre le parti démocratique et le parti oligarchique ; elle avait appartenu un instant à la faction d’Alcibiade ; tout à coup elle se trouva livrée, sans même en avoir le soupçon, au parti de Philippe. Ce n’était rien encore, car du penchant d’Athènes ne dépendaient plus les inclinations de la Grèce ; Philippe eut, en outre, la suprême habileté d’assumer contre l’armée sacrilège de Phocide le rôle que joua contre les Albigeois Simon de Montfort. L’hégémonie macédonienne s’affirma par les saintes prouesses de ce Machabée.

La métamorphose soudaine de la tactique militaire eut aussi sa part dans le succès de Philippe. Le fils d’Amyntas n’inventa pas la phalange dont les rangs épais existaient avant lui ; tout au plus plia-t-il ses troupes mal disciplinées jusqu’alors à cette formation dont on a beaucoup exagéré l’influence ; ce qu’il fit et ce qui déconcerta bien mieux les plans de Charès et de Lysiclès, ce fut de se servir avec une rare vigueur de sa cavalerie. Depuis qu’Épaminondas leur avait appris le secret de leur force, les cavaliers ne craignaient plus d’assaillir les lourdes masses tout hérissées de fer des piquiers, masses formidables à coup sûr et dont les racines ne s’arrachaient que difficilement du sol. A Leuctres, ce furent les assauts de la cavalerie et non pas les chimériques combinaisons de l’ordre oblique qui donnèrent la victoire aux Thébains. Sous son épaisse cuirasse le cavalier pouvait défier la plupart des traits ; l’hoplite voyait souvent la flèche traverser son bouclier. Quant au peltaste, il ne se fiait guère qu’à son agilité ; d’ordinaire, il se tenait avec les bagages au centre de la phalange formée en carré. Lorsqu’il fallait poursuivre un ennemi en déroute, aller occuper quelque hauteur, le flanc du bataillon s’ouvrait et laissait passer ces troupes légères. Iphicrate fit un grand usage des peltastes ; Philippe employa surtout ses cavaliers. L’alliance des Thessaliens lui avait donné la première cavalerie du monde ; pour que rien ne manquât à sa fortune, le ciel lui envoya dans son propre fils, Alexandre, un incomparable « entraîneur d’escadrons. » Murat seul et Ibrahim-Pacha ont, dans le jeu toujours si chanceux des batailles, pesé d’un aussi grand poids par leur valeur personnelle.