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quand le thème commence à lasser, la composition latine, sont des exercices qui rendent à peu près les mêmes services que les conversations dans les langues vivantes. Ils forcent les élèves à se familiariser avec les mots et les tournures, à en savoir la signification précise, de façon à les reconnaître et à les comprendre quand ils les retrouvent dans les auteurs qu’ils expliquent ; en sorte qu’on peut dire que, s’ils écrivent le latin, c’est pour arriver plus facilement à le lire. De cette manière, le maintien de la composition latine ne contrarie en rien les nouvelles réformes et rentre tout à fait dans le programme de M. Jules Simon.

Elle a encore une autre utilité dont il faut dire un mot : elle apprend mieux que tout le reste aux élèves à mettre en ordre leurs idées, à les exprimer avec clarté, à les développer avec suite, en un mot à composer. C’est le grand art français ; il faut se garder de le compromettre. On dira peut-être que, pour en apprendre les secrets, les élèves n’ont pas besoin d’avoir recours aux exercices latins et qu’il leur suffira de faire des compositions françaises. Ils le pourraient sans doute ; je crois pourtant que le latin vaut mieux. Quand on écrit dans sa propre langue, le travail qu’on fait est si naturel qu’on n’en saisit pas l’artifice. Au contraire, la peine qu’on prend et la gêne qu’on éprouve pour exprimer ses idées dans une langue étrangère fait mieux apercevoir les procédés qu’on emploie. De plus, on y trouve cet avantage d’être forcé d’écrire avec moins de rapidité. D’ordinaire, les enfans auxquels on donne des lettres ou des narrations à faire ne savent pas se borner ; ils mettent tout ce qui peut se dire et ne se donnent pas le temps de choisir. On débute presque toujours par l’intempérance, et il n’est pas toujours aisé de s’en corriger, quand on a le malheur d’en avoir pris l’habitude dès les premières années. Il n’y a pas moyen d’aller si vite, quand on veut exprimer sa pensée en latin. Ce n’est pas du premier coup qu’on trouve le mot ou la tournure qui conviennent, et pendant qu’on les cherche, la réflexion a le temps de s’éveiller. Apprendre à réfléchir, c’est la première science et la plus difficile pour les enfans. Une fois qu’ils la possèdent, ils l’appliquent au français comme au latin et se trouvent écrire bien leur-langue sans l’avoir presque apprise. C’est ce qui est arrivé à Descartes, à Bossuet, à La Bruyère et à tout le XVIIe siècle. Pour ces raisons, on a cru devoir conserver les compositions latines, en les rendant toutefois moins fréquentes et plus variées.

Les heures que laissent libres la suppression du vers latin et la réduction des compositions écrites sont disputées avec acharnement par les sciences et les langues vivantes. On en a réservé une bonne partie pour l’étude du français, et personne, je crois, ne