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à son intelligence, elle l’accoutume à ne compter que sur lui. De là il arrive avec moins de peine à expliquer plus rapidement. A la vérité, ces exercices, s’ils étaient seuls, pourraient l’habituer à l’improvisation et à l’à-peu-près ; mais en les combinant dans de justes me sures avec les versions écrites et les thèmes médités à loisir, on évitera le danger. Quand les élèves auront moins de peine à comprendre leurs auteurs, ils éprouveront plus de plaisir à les lire. On peut espérer qu’il arrivera alors ce que l’Université a toujours demandé, ce qu’elle a très rarement obtenu. Les jeunes gens compléteront eux-mêmes l’enseignement de leurs professeurs, ils liront dans les études ce qui n’a pu être lu en classe. On les y exhortera de toutes les manières, on leur mettra dans les mains les grands ouvrages dont on souhaite qu’ils prennent quelque connaissance, et, comme ils courent le risque d’être plusieurs fois arrêtés dans ces lectures solitaires, on les laissera user de quelque bonne traduction qui leur donnera le sens des phrases quand ils seront embarrassés à le saisir. Ce travail personnel de l’élève est de la plus grande importance. Il faut que, même quand il est sous un maître, il s’habitue à n’en avoir pas toujours besoin. Le rôle du maître consiste à le rendre capable de se passer de lui ; suivant le mot charmant de Fontenelle au cardinal Dubois, il travaille à se rendre inutile.

Mais pour lire, pour réfléchir à ses lectures, il faut du temps, et le temps est ce qui manque le plus aux bons élèves. On a entassé tant de matières, tant d’études diverses dans nos lycées, qu’il n’y reste plus une heure de libre. Pour remédier à cet encombrement, il n’a pas paru suffisant de diminuer les compositions écrites, qui avaient fini par devenir trop nombreuses et trop importantes, il a fallu se résoudre à quelques sacrifices plus graves. Parmi les exercices qu’on a définitivement retranchés se trouvent les vers latins. Ils avaient été déjà condamnés, il y a huit ans, par M. Jules Simon, dans sa fameuse circulaire, et l’on se souvient des récriminations violentes que cet arrêt prononcé à l’improviste avait soulevées parmi les professeurs et au dehors des lycées. Depuis cette époque, on s’est habitué peu à peu à ce sacrifice, et je crois que la suppression des vers latins trouvera nos professeurs satisfaits ou résignés. Est-ce à dire qu’ils reconnaissent que c’est un exercice tout à fait inutile ? Non, sans doute. Nous l’avons vu souvent cultivé avec passion dans les classes ; il avait charmé des esprits curieux et distingués : et, pour n’en citer qu’un, j’ai entendu Sainte-Beuve s’irriter contre ceux qui attaquaient les vers latins et prétendre que rien n’avait plus servi à exercer son goût et à former son intelligence. Il est sûr pourtant qu’ils n’ont plus que de rares fidèles, que