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de ses applaudissemens elle a reconnu la ressemblance, ne sont pourtant qu’une expression d’elle-même très incomplète, et souvent infidèle. Mais quand on descend des œuvres de la littérature jusqu’à des productions telles que celles des chansonniers ou sottisiers, comme on les nommait alors, dont aucune pour ainsi dire ne peut produire l’acte de son état civil, qui toutes ou presque toutes sortent on ne sait de quelles officines pour circuler sous le manteau et de là s’aller perdre chez quelque collectionneur acharné à l’enrichissement de son cabinet, on conviendra que du sentiment que ces chansons expriment, il serait plus qu’imprudent de conclure la complicité de l’esprit public. Rien ne nous garantit que telle chanson du Recueil Clairambault-Maurepas ait couru ; rien ne nous garantit que cette autre ait dépassé jamais le petit cercle de roués où elle naquit après boire ; rien ne nous garantit qu’une troisième ne soit pas en unique exemplaire. Non-seulement donc nous ne pouvons pas contrôler la véracité du chansonnier, mais nous ne pouvons pas non plus mesurer la popularité de la chanson. Je me trompe : il est un cas où de la quantité même des Chansons qui se répètent et se pressent sur un même sujet, nous pouvons inférer que l’événement a frappé vivement les esprits. Alors nous apprenons que le bon peuple de Paris a salué par des cris de joie la mort de Louis XIV ; nous apprenons que le système de Law, après avoir soulevé de folles espérances, a soulevé de furieuses clameurs de désespoir et d’indignation ; nous apprenons que Dubois n’a pas été le modèle des vertus épiscopales ; nous apprenons que l’affaire de la constitution a passionné la France entière et failli faire éclater une révolution. Avions-nous vraiment besoin des chansonniers pour l’apprendre, et n’est-ce pas là ce qui s’appelle vulgairement découvrir l’Amérique en 1880 ?

Et c’est pourquoi nous ne saurions comprendre la faveur croissante, pourtant, avec laquelle il semble qu’on accueille les publications inédites, chansons ou mémoires, lettres ou journaux. Elles n’ont ni de quoi plaire, étant pour la plupart de la dernière médiocrité littéraire ; ni de quoi nous instruire, n’étant, si l’on nous passe l’expression, que du papotage historique, lorsqu’elles ne sont pas de belle et bonne calomnie ; elles sont de plus dangereuses.

Elles développent en effet dans le public un goût fâcheux pour l’histoire anecdotique, je dirais mieux encore pour la chronique scandaleuse. Elles l’habituent insensiblement à ne voir de l’histoire que les plus petits côtés. Ce sont les pires procédés du reportage et du mauvais journalisme appliqués à ce qu’on appelle pompeusement la connaissance des idées et des mœurs. Un reproche que nous avons entendu faire à ce Chansonnier du XVIIIe siècle, c’est que pour un recueil du temps de la régence, il ne contenait ni des pièces assez libres ni assez de pièces libres. Aussi en sommes-nous venus à connaître admirablement les