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noirceur et de malice. » Il faut détacher quelques vers du chef-d’œuvre, qui est très long. Il s’agît du caractère de Fagon :

Au venin qui bout dans ses veines
Dieu joignit l’esprit d’Attila,
Et sur lui l’enfer exhala
Du souffle impur de ses haleines
Les sept fameux péchés mortels,
Les sentimens les plus cruels,
Des âmes les plus inhumaines.


Que de grâces dans la médisance ! et que voilà donc un homme spirituellement drapé Je ne suis pas fâché que ce soit à Marais que l’éditeur du Chansonnier ait emprunté ces témoignages d’admiration. Sainte-Beuve, un beau jour, je ne saisi par quel caprice, ne s’était-il pas ingénié de faire de Mathieu Marais une espèce d’autorité littéraire et de nous le dépeindre quasi sous les traits d’un représentant du meilleur goût du XVIIe siècle, attardé dans les premières années du siècle de Voltaire ? C’etait un fort honnête homme que Marais, je le crois, mais un juge douteux des choses de l’esprit. Peut-être aussi, d’un siècle à l’autre, n’est-il rien, — non pas même la mode, — qui change et diffère de soi-même autant que ce que l’on appelle esprit, de l’un des termes les plus généraux, les plus vagues, les plus lâches qu’il y ait dans la langue littéraire.

On eût aimé du moins que l’éditeur du Chansonnier ne se payât pas, lui, d’illusions sur la qualité du régal qu’il nous offrait. « Bon nombre de ces couplets, nous dit-il dans sa préface, sont de petits chefs-d’œuvre de verve et de style. » Il faut alors que nous ayons joué de malheur ; car vainement les avons-nous cherchés, et, malgré la meilleure volonté du monde, nous ne les avons pas rencontrés. Ce que nous avons trouvé de mieux, c’est peut-être l’épigramme suivante :

L’abominable banqueroute
Que fait Louis dans sa déroute
Va charger la barque à Caron.
Il meurt si gueux dans son vieil âge
Qu’on craint que la veuve Scarron
N’ait fait un mauvais mariage.


Mais il faut ajouter qu’elle était connue depuis longtemps. Et cette réflexion nous mène au jugement qu’il convient jusqu’ici de porter sur l’ensemble du recueil : ce qu’il renferme d’inédit méritait de demeurer dans l’ombre, mais ce qui valait la peine d’en être tiré depuis longtemps n’était plus inédit.

On nous répondra qu’il n’importe guère après tout que ces épigrammes, ces chansons, ces satires aient ou n’aient pas de valeur