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direction qui compte des maîtres déjà anciens et des disciples qui sont eux-mêmes des maîtres, ne redoute aucun progrès, aucune découverte, aucune théorie de la science pour la cause qui lui est chère, parce qu’elle croit ses principes assez forts pour résister à la critique, assez larges pour comprendre les vérités scientifiques dans l’œuvre de conciliation qu’elle poursuit. Veut-on juger combien le positivisme est loin d’avoir fermé la voie à l’esprit métaphysique, on n’a qu’à relire le remarquable rapport publié en 1867 par M. Ravaisson. Et depuis que ce tableau de l’activité philosophique de notre pays a été tracé, le mouvement des esprits vers les plus hauts problèmes de la pensée n’a fait que gagner en étendue et en intensité. En le voyant reprendre ces problèmes sur les causes, les principes et l’origine des choses, on ne s’aperçoit guère que l’esprit humain ait obéi à la consigne positiviste. Ce n’est pas seulement des écoles philosophiques que vient cette initiative ; c’est aussi bien des cabinets de physique, des laboratoires de chimie et d’histoire naturelle. La méthode expérimentale n’a pas plus fermé la voie des hypothèses et des systèmes aux inductions du matérialisme qu’aux spéculations du spiritualisme. On y fait de la métaphysique autrement que par le passé, avec une méthode plus sûre, avec une science plus exacte et plus complète ; mais on en fait, puisqu’on s’efforce de ramener à un seul principe l’explication de tous les phénomènes cosmiques. On a remplacé les mots de matérialisme et de spiritualisme par les mots de mécanisme et de vitalisme. Mais qu’importe ? Tout expliquer par la matière ou tout expliquer par l’esprit, c’est toujours résoudre un problème d’ordre métaphysique. Donc, sans aller jusqu’à dire que l’école positiviste prêche dans le désert, on peut affirmer que sa voix n’est guère entendue que du public savant auquel il suffit de savoir les faits sans chercher à les comprendre. Et cette école elle-même ne rentre-t-elle pas dans la voie métaphysique en donnant la main au matérialisme par ses explications toutes mécaniques des phénomènes de l’ordre universel ? Tant est irrésistible l’essor de l’esprit humain vers les sommets de la pensée ! tant est puissant pour sa curiosité l’attrait des plus grands mystères de la nature !

Cet instinct n’aurait-il été donné par la nature à l’homme que pour son tourment ou son amusement ? N’a-t-il pas une destination plus sérieuse ? Il est permis de le croire, non-seulement en pensant à la puissance de l’instinct métaphysique, mais en réfléchissant surtout sur la nature de son objet. Cet objet n’est jamais de vaines abstractions à tourmenter, de pures entités à poursuivre. C’est là l’abus, non l’usage de la métaphysique. Bien que l’étymologie du mot n’ait rien de philosophique, métaphysique est le vrai nom de