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l’humanité ! La théologie n’a cédé la place, soit à la métaphysique, soit à la science, en aucun temps, en aucun lieu, dans les classes ou les individus qui représentent le mieux la haute culture de l’esprit. On l’a vu en Orient, où la théologie a tout enveloppé et tout caché sous le voile de. ses symboles, poésie, morale, philosophie et science. On l’a vu en Grèce, dans la restauration éphémère et un peu factice du polythéisme. On l’a bien mieux vu encore, vers la fin du monde païen, dans l’établissement définitif du christianisme. Cela est encore plus vrai de la métaphysique, si mal définie par le positivisme, Nulle part, on ne voit la science succéder à la métaphysique, et surtout la remplacer. Les systèmes se contredisent et se détruisent sans doute ; les écoles disparaissent avec le temps ; mais ce n’est point la science qui vient occuper la place vide ; ce sont d’autres écoles et d’autres systèmes. En résumé, la loi des trois états ne trouve sa vérification ni dans la réalité historique, ni dans la réalité psychologique. Et comme elle sert de base à la démonstration antimétaphysique de l’école positiviste, il s’ensuit que le positivisme en est réduit à des affirmations à peu près gratuites dans ses conclusions sur l’avenir de l’esprit humain. Ainsi que l’a dit Stuart Mill, la loi des trois états est l’épine dorsale du système positiviste ; si on la brise, c’en est fait du système tout entier.

La loi des trois états a soulevé des critiques et subi des rectifications jusque dans le sein de l’école positiviste. Stuart Mill fait ses réserves. « Il est malaisé de croire, dit-il, que la mathématique, depuis le moment où elle a commencé à être cultivée, ait jamais pu se trouver à une époque quelconque dans l’état théologique, quoiqu’elle laisse voir encore de nombreux vestiges de l’état métaphysique. Il ne s’est probablement jamais rencontré personne pour croire que c’était la volonté d’un dieu qui empêchait les lignes parallèles de se joindre, ou qui faisait que deux et deux égalaient quatre, pas plus que pour prier les dieux de rendre le carré de l’hypoténuse égal à une quantité plus ou moins grande que la somme des carrés de deux autres côtés. Les croyans les plus dévots ont reconnu dans les propositions de cette espèce une classe de vérités indépendantes de l’omnipotence divine. » Stuart Mill pense donc que telle devrait être la conséquence de la formule de Comte, si elle était prise à la lettre, et dans toute la rigueur d’une véritable loi. Un philosophe anglais qui n’est pas positiviste, Robert Flint, nous paraît avoir résumé avec justesse et précision la critique générale de la formule positiviste. « Les choses peuvent être considérées sous trois aspects. Mais trois aspects ne sont pas trois états successifs ; de ce fait qu’il est naturel à l’esprit de considérer les choses de ces trois manières, il ne suit nullement qu’il y ait