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sait des religions de l’Orient ne permet pas d’en douter. Mais c’est en Judée et en Grèce, que l’on peut saisir nettement et dans le détail le caractère synthétique des religions de ces deux pays. Il y a de tout dans les admirables livres religieux du peuple hébreu et du peuple grec, dans la Bible, dans les poèmes d’Homère et d’Hésiode, et plus encore de poésie, de morale et d’histoire que de théologie. Et par parenthèse, sans aller jusqu’à dire que la conception théologique des Hébreux échappe entièrement à la définition positiviste, on peut affirmer qu’elle ne s’y adapte point aussi facilement que la mythologie grecque. C’est un Dieu caché que le Dieu d’Israël, dont aucun de ses plus grands prophètes n’a vu la face, et qu’il n’est permis de représenter sous aucune image. Il faut reconnaître toutefois que, si sa figure est invisible, sa personnalité se manifeste assez clairement dans l’histoire de son peuple pour qu’on puisse dire que la conception théologique de l’ancienne Bible n’est pas absolument pure de toute détermination anthropomorphique.

On voit que la formule d’Auguste Comte ne s’applique pas sans réserves et sans restrictions à l’origine des sociétés humaines. L’état théologique y domine sans y exclure absolument d’autres états. Si l’on passe aux religions qui sont nées ou qui se sont développées au sein des sociétés déjà civilisées, on trouve que cette application rencontre de bien autres difficultés. Leurs théologies sont des œuvres plus ou moins rationnelles et savantes, où la réflexion s’unit à l’inspiration, où la pensée mêle ses abstractions aux fictions de l’imagination, de manière à convertir celles-ci en symboles qui s’adressent à la fois aux sens et à l’intelligence. Dans ces théologies, la métaphysique a sa place assez grande pour dominer, sinon pour effacer, tout ce qui est l’œuvre de l’imagination proprement dite. C’est le caractère de ce grand et obscur panthéisme de la théologie brahmanique, où il est si difficile de démêler tant d’élémens d’origine différente. Il n’est pas douteux que, dans l’Inde comme partout, les religions, pour ne pas parler de ces grossières croyances qui se résument dans le mot fétichisme, ont commencé par le polythéisme. La transition du polythéisme au panthéisme a donc été le moment métaphysique de ces théologies. L’homme conçoit tout d’abord les puissances de la nature à l’image de sa propre puissance, comme douées d’intelligence et de volonté. C’est l’esprit qui respire dans les hymnes des Védas. Puis la pensée indienne parvient à concevoir une unité qui domine et absorbe la diversité des puissances individuelles, en réunissant cette diversité sous trois grands dieux qui ne sont eux-mêmes que les puissances de l’être universel. La création du dieu suprême n’est qu’une émanation. Le monde s’échappe du sein de Brahma par un