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N’y a-t-il pas des distinctions importantes à faire, à propos des termes de la formule, qui en infirment la portée négative en ce qui concerne la valeur et les destinées de la métaphysique ? Autant de questions qui ont trop peu préoccupé le positivisme et dont toute critique doit tenir compte.


II

On nous permettra de faire remarquer tout d’abord que la loi dont l’école positiviste se fait un argument capital pour la démonstration de sa thèse a été en quelque sorte improvisée sur une vue rapide et toute sommaire des faits. Auguste Comte ignorait à peu près l’histoire de la philosophie. M. Littré, fort bon juge en matière d’érudition, n’a pas fait de cette histoire l’objet spécial de ses études. C’est par une induction hâtive, fondée sur des apparences qui ne sont pas sans quelque réalité, que l’école est arrivée à une conclusion qu’elle donne comme définitive. Nulle part on ne rencontre, ni chez le maître ni chez les disciples, une démonstration historique ou psychologique de la loi des trois états, ni même une définition précise des termes de la formule empruntée à l’histoire. C’est pour l’école une vérité historique évidente qui n’a besoin que d’être énoncée pour être reconnue par tous les esprits vraiment philosophiques.

Avant de commencer cet examen, il importe de bien saisir le vrai sens de la formule positiviste, afin de ne point la soumettre à une vérification historique trop rigoureuse, sinon pour la lettre, du moins pour l’esprit de cette formule. D’abord, est-ce trois âges, ou trois époques, ou trois états qu’il faut dire ? L’école emploie tous ces termes comme à peu près synonymes, et pourtant, pour l’exactitude historique, il n’est pas indifférent de s’en servir indistinctement. La formule des trois âges viendrait se heurter contre les faits ; l’historien ne connaît point d’âge proprement dit où la théologie, la métaphysique, la science règne exclusivement. Ce phénomène ne se rencontre pas plus dans l’Inde et en Grèce que dans les temps modernes. Il faut remonter à l’origine même des sociétés humaines pour y trouver ou plutôt y supposer un âge religieux où il n’y ait nulle trace de métaphysique et de science. La formule des trois époques prête aux mêmes critiques. Depuis les temps historiques, on ne connaît ni une époque de théologie pure, ni une époque de métaphysique pure, ni une époque de science pure. D’autre part, pour bien juger la formule de la loi des trois états, il