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c’est-à-dire de l’abstention, le refuge ordinaire des caractères faibles.

Ces dégoûts n’empêchèrent pas lord Minto de passer encore aux Indes deux années bien employées et peut-être même plus laborieuses que les précédentes, en raison des accroissemens de la puissance anglaise et de ses relations chaque jour plus étendues avec les établissemens indépendans de Nagpore, d’Oude et d’Hyderabad. Sa correspondance avec les siens devient moins régulière à cette époque. Il s’en excuse auprès d’eux en leur disant que d’habitude il leur écrivait dans la soirée quand tout le travail de la journée était terminé, mais, il 4’avoue à sa honte, il tombe endormi maintenant, dès qu’approche le soir, sur un sofa placé au frais sous la verandah : « Là, je sommeille, je rêve de Minto, et je ne suis plus capable, ainsi que je l’étais dans ma jeunesse, — c’est-à-dire il y a un an ou deux, — de m’asseoir à ma table entre chien et loup, pour vous écrire tout en faisant la chasse aux moustiques. Voilà la triste vérité ! »

Chez un homme si courageux cette dépression physique ne pouvait être que le symptôme d’un état moral assez mélancolique. Au milieu de tous ses travaux et de tous ses soucis, non moins préoccupé des intérêts de la chose publique que des soins réclamés par ses affaires personnelles, lord Minto a la nostalgie de la patrie et de la famille absentes. L’éloignement de tous les objets qui ont rempli sa vie a fini par lui devenir insupportable, et la séparation d’avec les êtres qui tiennent tant de place dans son cœur a pris à ses yeux le caractère de l’exil. Les revoir devient pour lui un besoin irrésistible. Il rêve de Minto ! C’est là que l’attendent tous les siens. Il compte les heures, les jours qui s’écouleront avant qu’il retrouve le home où toutes ses affections sont concentrées. Dans une de ses lettres, il raconte le roman qu’il se fait à lui-même durant ses veilles ; le voilà arrivé à telle station ; puis, à telle autre ; le temps est favorable, les chevaux marchent vite ; s’arrêtera-t-il chez des amis ? Non ! il ira tout droit pour arriver plus tôt…

Cependant il s’était promis de rester aux Indes six années complètes, temps au moins nécessaire pour mener à bien les projets d’amélioration qu’il avait conçus. Parvenu presque au terme qu’il s’était prescrit et satisfait de son œuvre, il avait enfin fixé le moment de son départ aux premiers jours de l’année 1814, lorsque, dans le courant de l’été de 1813, la nouvelle lui parvint qu’il était remplacé avant d’avoir donné sa démission. Ce n’est pas qu’il fût en disgrâce, mais le régent avait voulu donner à lord Moira, son ami particulier, une position largement rétribuée. Le titre de comte, qui accompagnait cette brusque notification, ne parut à personne