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menacé la sécurité du gouvernement. A son arrivée aux Indes, lord Minto avait pu reconnaître les traces encore apparentes d’une rébellion à peine apaisée. Cette fois, les proportions en étaient beaucoup plus redoutables. Un corps de troupes indigènes, de trente mille hommes, commandé par des officiers anglais, s’avançait sur la présidence de Madras pour réclamer, les armes à la main, le rétablissement de certains privilèges qui venaient de leur être enlevés. Lord Minto se transporta de sa personne sur les lieux mêmes et ne demeura pas moins de huit mois à Madras pour se rendre compte de la situation, en laissant l’autorité apparente au gouverneur, sir George Barlow. « Jamais, écrivait-il une fois l’affaire terminée, jamais plus grand péril n’avait menacé l’empire britannique dans les Indes. » Après de longs pourparlers, le gouverneur-général réussit enfin à apaiser la mutinerie par la persuasion, et les officiers révoltés mirent bas les armes. Quelques-uns des plus compromis furent déférés à un conseil de guerre, qui usa d’indulgence. D’autres furent forcés de donner leur démission, et tout rentra dans l’ordre.


IV

Comment nous défendre contre une impression pénible au moment où notre sujet nous amène à parler des pas faits dans la voie des conquêtes, par la politique à la fois prévoyante et hardie de lord Minto ? Il est naturel que les chances de la guerre, quand elles font tomber aux mains de l’ennemi quelques portions de notre territoire, nous causent une douleur patriotique, mais un sentiment plus amer encore vient s’y joindre s’il nous arrive d’être traités en vaincus sans même avoir combattu. Les courtes lignes qu’on va lire et qui sont un exposé de la situation que le biographe de lord Minto résume avec sagacité, ne sont-elles pas faites pour éveiller en nous le sentiment d’une révolte impuissante ? « A mesure que la France étendait ses conquêtes en Europe, elle était condamnée à les perdre en Asie… L’île Bourbon et l’île de France, les Moluques et Java s’ajoutaient au nombre des colonies que possédait déjà la Grande-Bretagne. Les flottes françaises étaient chassées des mers indiennes, et l’Angleterre n’avait plus à craindre de rivales en Orient. »

Telle est la pénible vérité. Tandis que l’Angleterre s’agrandissait à nos dépens dans l’extrême Orient, la France s’agrandissait aux dépens de ses voisins, mais que devait-il nous rester plus tard de toutes nos conquêtes et que devions-nous recouvrer un jour de tant de biens perdus ? La tristesse de ces calculs, où les pertes