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II

Peu s’en fallut que lord Minto ne quittât les Indes ayant même d’être entré en fonctions, car il apprenait presque en débarquant la chute du ministère qui l’avait nommé, et, par le fait de la distance, il devait ignorer, durant de longs mois, si le nouveau ministère confirmerait ses pouvoirs. Il envoya à lord Grenville, l’ancien ministre, une démission facultative pour le cas où celui-ci jugerait à propos d’en faire usage, et, en attendant la décision du cabinet de Saint-James, se mit à l’œuvre comme s’il devait rester à son poste. Il y fut maintenu en effet par lord Castlereagh, le nouveau ministre des affaires étrangères.

On voit que la lenteur des communications ajoutait à la tâche d’un gouverneur-général des Indes de grandes difficultés qui n’existent plus aujourd’hui. Il lui fallait prendre sous sa responsabilité les décisions les plus importantes quand le temps ne permettait pas d’attendre huit ou dix mois pour agir. Bien que la constitution du grand état sur lequel s’étendait le bras de l’Angleterre fût réglée de telle sorte qu’il ne dût y avoir aucun arrêt dans son fonctionnement, il n’en arrivait pas moins que le conseil des Indes à Londres, le conseil des directeurs de l’honorable compagnie, les gouverneurs particuliers des trois présidences de Bombay, de Madras et de Calcutta ne marchaient pas toujours d’un commun accord sur toutes les questions qui touchaient à leurs intérêts respectifs, et l’on fut témoin de ce fait singulier d’agens accrédités simultanément à la cour de Perse par les gouvernemens rivaux de Londres et de Calcutta. Un incident de cette nature qui se produisit durant la gestion de lord Minto, et qui fit alors assez de bruit, ne peut être attribué qu’à la difficulté des communications entre l’Angleterre et les Indes ; une remarquable entente régna d’ailleurs tout le temps que dura son administration entre lui et les différens pouvoirs qui régissaient alors les provinces soumises à la domination de l’Angleterre.

A peine lord Minto prenait-il en main la direction des affaires, qu’une complication des plus graves venait attirer toute son attention vers la politique extérieure. Il ne s’agissait de rien moins que d’une invasion des Français se préparant, sous la conduite d’un autre Alexandre, à faire la conquête des Indes. Ce projet, le plus vaste qui pût entrer dans la tête d’un conquérant, n’était peut-être pas aussi impraticable qu’il le paraît au premier abord. Non-seulement lord Minto admettait que le succès de l’entreprise n’était pas impossible, mais il en discuta sérieusement les chances avec le comité directeur siégeant à Londres, et dans une des dépêches