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indiennes, raconte plaisamment ce qui lui arriva le premier soir de son arrivée à Calcutta :


Je fus, dit-il, escorté dans mon cabinet de toilette par quatorze individus en robes de mousseline blanche. Au premier moment, j’aurais pu espérer que parmi eux il se trouvait des dames ; mais, en m’apercevant qu’il y avait autant de turbans et de barbes noires que de robes blanches, je ne songeai plus qu’à me débarrasser de ces femmes de chambre barbues pour remettre à Tom, tout seul, le soin de ma personne. Du moins, dans cette pièce réservée, je retrouvais un peu de tranquillité, mais non une liberté complète, les portes restant ouvertes, les cloisons étant à peu près transparentes, et le devoir d’un certain nombre de ces individus consistant à ne pas me perdre de vue pour être tout prêt à me rendre les services que je pouvais requérir. Suis-je au lit, c’est la même chose. Un noir bataillon dort ou veille toute la nuit sur le plancher de mon corridor et un capitaine des gardes du corps fait sentinelle à la porte en distribuant ses cipayes dans toutes les pièces et sur tous les escaliers de la maison. Ceux-là m’adressent le salut militaire chaque fois que je passe, et trois ou quatre d’entre eux marchent devant moi en portant une masse d’armes… Peu à peu je m’affranchirai de cet esclavage insupportable, mais il en restera toujours assez pour m’ennuyer…


Afin de retrouver quelque liberté, lord Minto se rendait chaque jour à une maison de campagne ou bungalow située à Barrackpore, à quelques milles de Calcutta, sur les bords du Gange. Il fait de ce lieu une description ravissante. La nature, sous ce ciel ardent, a des coins d’ombre et de fraîcheur qui font penser au paradis terrestre, et c’est dans ces lieux charmans que la plupart des Européens établis aux Indes s’installent avec leur famille durant les grandes chaleurs. Ordinairement ils habitent, non le centre des grandes villes hindoues, où se trouve la population indigène, mais les faubourgs, devenus des villes, par suite de l’agglomération des étrangers. Autour de la vaste caserne où résident les troupes de l’armée royale, les négocians, les fonctionnaires, les rentiers viennent se grouper et forment ainsi la ville européenne avec les coutumes et le confort du home, à deux pas de la ville indoue qui a conservé ses mœurs et sa couleur locales. C’est ainsi qu’auprès de Calcutta Fort-William, siège du gouvernement, était la résidence du gouverneur général quand il ne se rendait pas à son bungalow pour y travailler ou s’y reposer plus à loisir.