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entoura mon cou d’une guirlande de fleurs et me remit entre les mains deux roses et un paquet de bétel…


Ce dernier trait nous remet en mémoire la scène qui, trois quarts de siècle plus tard, s’est passée au même lieu et avec le même cérémonial, lorsque s’est agi pour les princes indiens de recevoir, en 1876, l’héritier de l’empire des Indes. Au milieu des fêtes dont les descriptions semblent tenir du rêve, les coutumes traditionnelles furent conservées dans leur gracieuse naïveté, et une jeune fille de la secte des parsis vint enguirlander le prince de Galles comme l’avait été lord Minto soixante-dix ans auparavant. La politesse orientale, sous ses formes puériles ou pompeuses, avec l’accompagnement de tant de fleurs, de tant de parfums, de tant de présens, de si nombreux serviteurs, est, en quelque sorte, née des conditions physiques du climat et du sol. Le luxe des complimens et la profusion des métaphores semblent répondre au luxe de la terre et à la profusion de ses dons. Le soleil, principe de vie et de mort en ces climats excessifs, exalte ou énerve tour à tour les êtres qui respirent son atmosphère de feu, et, depuis la bayadère alanguie dans le voluptueux vertige de la danse sacrée jusqu’au fanatique qui se fait écraser sous les roues du char d’une monstrueuse idole, depuis le nabab qui vit entouré de ce luxe qu’on ne peut mieux dépeindre qu’en lui donnant le nom d’asiatique jusqu’aux malheureux qui, dans les années de sécheresse, meurent par milliers faute d’une poignée de riz, tous, sous ce ciel ardent, concourent à l’harmonie générale et par la violence même des contrastes donnent son caractère à cette nature exubérante.

Ce fut de la famine, de ce fléau terrible si fréquent aux Indes, que lord Minto fut d’abord témoin à son arrivée à Madras. La stérilité des récoltes n’en est pas toujours l’unique cause, il faut aussi accuser l’incurie naturelle aux populations indigènes. Vivant en état de servage et ne possédant rien en propre, celles qui habitent la campagne ne prennent pas la peine de chercher d’autres ressources quand la terre desséchée leur refuse une maigre nourriture et meurent alors de misère et de faim sous l’empire de ce fatalisme inerte qui n’est pas la résignation. Quant aux troupeaux d’êtres indolens qui encombrent les palais en remplissant les faciles sinécures de porte-pipes ou de porte-éventails, ils obéissent à la loi de leur nature insouciante ou rebelle au travail. On sait de quelle quantité de serviteurs inutiles il faut s’entourer quand on séjourne aux Indes. Il est vrai que leurs gages sont des plus minimes et que, pour la plupart, ils ne sont ni logés ni nourris chez leurs maîtres. Lord Minto, frappé comme tout étranger de ce détail des mœurs