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l’Afghanistan. Déjà le gouvernement des Indes semble hésiter à présenter à la fois le chiffre colossal des sommes dépensées jusqu’au règlement du budget de la guerre au mois de mars dernier, et celui des millions en plus qu’il lui faut demander pour mener à bonne fin ce qui n’était, à l’origine, qu’une expédition destinée, selon quelques-uns, à soutenir un droit politique. Aujourd’hui encore, une lutte obstinée retient les forces de l’armée anglaise cernées, en quelque sorte, dans une contrée livrée à l’anarchie, et le plus grand intérêt de l’Angleterre, après avoir englouti tant d’argent et tant d’hommes dans l’âpre sol de l’Afghanistan, serait d’en retirer ses troupes au plus vite. Si les chiffres ont leur éloquence, ils ont aussi leur tristesse. Combien de luttes sanglantes, d’efforts oppressifs, de sombres tragédies ne représentent-ils pas quand ils s’offrent à nous, même comme le bilan des conquêtes !

Plus d’une fois déjà, la Compagnie des Indes s’était, au point de vue de ses intérêts matériels, justement inquiétée des brèches considérables que les entreprises militaires du gouvernement avaient creusées dansées trésors. Sur ses injonctions, le cabinet de Saint-James s’était vu contraint de rappeler le marquis Wellesley, dont l’administration, plus brillante qu’économique, avait si largement étendu les domaines de la métropole. Le prédécesseur de lord Minto, poursuivant avec succès de grands desseins, avait réussi à amener la chute du royaume de Mysore et le démembrement de l’empire des Mahrattes, et à créer définitivement ce grand empire de l’Inde anglaise, tel qu’il existe aujourd’hui, depuis le cap Comorin jusqu’au Sutledje. Une si grande œuvre ne s’était pas toutefois accomplie sans avoir laissé après elle des troubles intérieurs dont la domination nouvelle devait longtemps encore ressentir l’ébranlement.

Les instructions emportées par lord Minto lui recommandaient par-dessus tout la conciliation et le maintien de la politique de non-intervention, si fortement réclamée par les directeurs de l’honorable compagnie des Indes. Elles s’accordaient, en ce point, avec son esprit sage et naturellement animé des sentimens les plus généreux envers les populations indigènes. Il était en politique l’élève de Burke et son meilleur ami. Il avait siégé à ses côtés lors de ces magnifiques débats parlementaires où le grand orateur avait défendu la cause de l’humanité contre le système rigoureux par lequel le gouvernement anglais croyait bon alors de consolider sa puissance aux Indes. Lord Minto se souvenait encore de ces accens pleins d’une émotion communicative avec lesquels Burke avait reproché au ministère de n’avoir pas suffisamment protégé les princes indiens contre « cette compagnie de marchands, — ainsi disait-il, — qui ne considéraient les intérêts des peuples qu’au