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toujours été marqué par le triomphe successif du droit primant la force qui, malgré de partielles et terribles exceptions, se met de plus en plus à son service. Les exemples choisis sont bien faits pour donner raison à cette thèse si glorieuse et si favorable à l’espérance. La force primait le droit avec l’esclavage : il remplit toute l’antiquité et il a gardé ses positions dans les colonies et en Amérique jusqu’à une époque toute récente ; l’esclavage disparaît, et le servage lui-même, qui n’en est qu’une image affaiblie, cesse de peser sur des millions d’hommes en Russie ; c’est le droit qui prime la force ! Partout dans le passé la force a primé le droit avec le régime oppressif dès monopoles et des privilèges ; le droit a repris son rang par leur abolition définitive. La force opprimait les consciences en s’introduisant dans le domaine religieux, la liberté de conscience et des cultes y a réintégré la primauté du droit. La guerre elle-même, ce fléau, malgré ses excès et ses sauvages revendications, ne saurait être comparée à ce qu’elle fut dans l’antiquité. L’universalité de l’instruction, la substitution d’une justice régulière et de pénalités mesurées aux violences privées, aux procédures secrètes et arbitraires, aux tortures et à la question, attestent aussi ces victoires de la vérité et du droit que l’humanité ne se laissera plus arracher. Il en est de même de l’impôt, volontairement consenti, voté, discuté par la parole et par la presse. Est-ce à dire que cet esprit expérimenté se fit illusion sur les dangers que court toute démocratie ? Loin de là : il n’est pas un seul progrès du droit qui ne lui paraisse contenir un danger, un écueil. Ainsi la liberté, qui est notre garantie à tous, peut s’exalter jusqu’à l’ivresse par le sentiment de ses succès. A l’égalité correspond l’orgueil, et son abus est le nivellement. Aux appétits surexcités il faut donc plus que jamais opposer le sentiment de la responsabilité individuelle, celui de la vraie justice distributive et tous les freins moraux nécessaires aux démocraties. De même, bien que le progrès matériel n’inquiète pas cet ami résolu de la civilisation moderne, il le croit insuffisant, même dangereux, et de plus compromis, si le progrès moral ne vient s’y joindre pour le contrebalancer et le sauver à la fois. Combien de nobles développemens et d’une application toute spéciale sur le sens et l’étendue à donner au mot de fraternité, sur le rôle de l’enseignement, sur l’importance permanente de l’élément religieux, ni oppresseur, ni sacrifié, dans notre société contemporaine ! Le discours sur « la personnalité et la sociabilité » n’est pas moins approprié à notre situation. Avec plus de solennité que dans ses livres, il oppose la liberté individuelle aux abus possibles de la théorie de l’état, et il se fie au génie de la sociabilité, riche de tant de développemens