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Broglie et Guizot. Il publiait vers la même époque des Elémens de morale, et il croyait faire un utile présent à cette démocratie laborieuse qui se développait de toutes parts, en traduisant et en publiant pour la première fois à son usage les Mélanges de morale et d’économie politique de Franklin. N’était-ce pas apercevoir clairement le but et les moyens que de favoriser de telles leçons morales ? Ce n’est pas à dire qu’il n’y eût à ses yeux mêmes un enseignement des devoirs plus haut que celui de la fameuse Science du bonhomme Richard. Certes, mais il importe, en morale pratique comme en toutes choses, de savoir à quel temps et à quel public on a affaire. Aimer le bien pour lui-même est en morale l’idée la plus forte et la plus pure. Franklin, quoi qu’on ait paru dire, ne l’excluait pas, et il suffit d’un coup d’œil jeté sur ses lettres, sur ses mémoires, sur ses divers écrits pour voir qu’il ne bornait pas ses horizons à l’utile ; il n’est pas moins vrai que les hommes placés quotidiennement en face de tâches pénibles et de devoirs ingrats ont besoin d’un réconfortant plus terre à terre dans des conseils et dans des exemples qui leur montrent le succès au bout de la bonne conduite, et qui diminuent l’attrait du mal par la crainte des conséquences. C’est à cela que pouvaient servir les sages préceptes de ce Socrate américain, qui a lui-même exercé si courageusement l’effort personnel et si ingénieusement pratiqué ce genre de vertu qui ne s’excepte pas des avantages qu’elle prétend conférer aux autres. Vertu tout humaine, bien que Franklin y ajoute les secours de l’idée de la providence qu’il défend et d’un christianisme moins mystique à vrai dire que moral, mais vertu bien nécessaire dans des classes qui pourraient déployer stérilement toutes les. qualités imaginables si la prévoyance ne venait s’y joindre.

De tels travaux n’étaient pour ainsi-dire que des épisodes dans la vie occupée du jeune, avocat. La dernière partie de la restauration le trouve plaidant nombre d’affaires, dont quelques-unes eurent un caractère politique. Tel fut le célèbre procès des sergens de la Rochelle ; son client fut acquitté ; mais la condamnation, si légale qu’elle pût être, des autres inculpés, lui fit la plus douloureuse impression ; dans des lettres intimes, il se montre surtout frappé de la jeunesse, de l’inexpérience, du courage intrépide de ces malheureux jeunes gens. La plupart des procès qu’il plaide à cette époque sont des procès de librairie et de presse. Il trouve à y déployer cette fermeté de principes, cette argumentation vigoureuse et serrée, qui devaient être les caractères les plus saillans de son talent. La même indépendance le porte aussi parfois à se séparer des siens dans des questions qui divisaient le parti libéral, par exemple celle des congrégations, soulevée, à propos des jésuites, en 1826, par