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tiers-état et l’accès de toutes les classes aux fonctions et à la propriété, sous la seule condition de la capacité et de l’effort individuel ?

Tout cela suffit à montrer quelle influence de telles diversités d’origine et de points de vue devaient avoir sur les relations de l’économie politique et du droit. Comment ne se seraient-ils pas heurtés plus d’une fois sur les terrains communs où il leur arrivait de se rencontrer ? Le temps devait amener sans doute une meilleure entente. Mais où a-t-on jamais vu le temps agir sans le concours d’ouvriers actifs et capables, sachant ce qu’ils font, qui engagent l’œuvre et la mènent à terme ? Je ne dis pas que tout germe de division ait disparu aujourd’hui, mais il y a plus d’un signe heureux d’un rapprochement entièrement conforme aux nécessités scientifiques et aux besoins de la civilisation moderne. Il en est peu de plus caractéristiques que l’admission toute récente de l’enseignement de l’économie politique dans les écoles de droit. Cujas ouvrant la porte à Adam Smith, Pothier faisant les honneurs d’une entrée solennelle à ces mêmes économistes qui lui ont cherché plus d’une fois querelle, c’est là un progrès manifeste. Songeons qu’il n’y a pas très longtemps, cela eût paru une profanation, une violation de territoire. Espérons que le bon accord se maintiendra sous l’invocation de ces esprits qui, comme M. Renouard, à la fois fidèles à Domat et à Turgot, savent allier le culte de la science juridique et de l’économie politique. On ne saurait en effet regarder l’auteur de livres tels que le Traité des faillites et banqueroutes, et le Traité, non moins technique, des brevets d’invention comme un jurisconsulte amateur ou purement philosophe. Nul ne possède mieux les lois et les règlemens, ne connaît mieux les arrêts, ne manie et ne discute les textes avec plus de science et de précision. De même que ses confrères ont pu apprécier en lui le légiste le plus expérimenté et le plus rompu à la science spéciale qu’il enseignait dans ses livres et qu’il appliquait comme magistrat, nous l’avons, de notre côté, entendu plus d’une fois examiner les points les plus ardus et les plus controversés de l’économie politique, de manière à faire voir qu’il avait tout lu et que ses réflexions s’étaient fortement attachées aux questions qu’il traitait avec une ampleur magistrale. Voilà bien des garanties d’impartialité et de jugement supérieur lorsque nous allons le voir se poser en arbitre et en conciliateur.


I

Toutes les particularités biographiques propres à expliquer les directions d’esprit et les travaux du savant jurisconsulte