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ne recevait-elle pas un coup mortel de cet ordre nouveau de considérations ? Qu’était-ce quand les mêmes raisonneurs concluaient hardiment à la suppression du taux légal et prétendaient régler l’intérêt, comme se règle le loyer des biens meubles et immeubles, sur la loi de l’offre et de la demande ? Il devait y avoir protestation et levée de boucliers, avec force objurgations contre de tels paradoxes. Aujourd’hui que de grands états ont adopté la liberté du prêt sans fixation légale du taux de l’intérêt, et qu’ils poussent même le manque de respect pour de grandes autorités jusqu’à s’en trouver bien, le scandale s’est apaisé sans que la résistance ait cessé. Quant à la légitimité de l’intérêt fondée sur les raisons présentées par l’économie politique, qui ne sait qu’elle a pris place dans le droit lui-même ? L’ingénieux et savant commentaire qu’en a fait M. Troplong diffère-t-il beaucoup des dissertations économiques où elle a été pour la première fois établie ex professo ?

On se rend aisément compte que de tels conflits inévitables devaient se produire sur d’autres points. Notre droit est antique par ses racines, malgré les rameaux nouveaux dont il s’est enrichi et les greffes successives qui s’y sont jointes : tout est moderne dans l’économie politique. L’esprit et les procédés ne diffèrent guère moins que les origines ; le droit réglemente, invoque l’autorité, la tradition ; la science que le dernier siècle créait sous le nom de physiocratie se propose presque toujours d’affranchir. Elle voit dans la liberté non pas seulement la cause la plus efficace des efforts féconds, mais en général un instrument d’organisation naturelle très apte à classer les hommes selon leurs vocations, les industries selon l’état des besoins, et à établir par la concurrence le juste prix des services et des produits. Le droit se ressent encore de ses habitudes romaines dans la manière dont il établit une ligne de démarcation, légitime en elle-même, mais excessive, entre les professions libérales et celles qui ne sont pas censées l’être, et que l’épithète de serviles semble encore diffamer. Ce devait être pour M. Renouard un des sujets de ses réclamations. Il les exprimait non pas seulement d’une manière générale, mais dans des mémoires développés et précis où il conteste par une argumentation solide la valeur scientifique de certaines distinctions outrées. Bien n’est plus opposé, en effet, à ces dédains, nés à la fois des préjugés de l’esclavage et d’un spiritualisme par trop hautain, que l’économie politique, dont l’essence même est le respect de la dignité et des droits du travail sous toutes les formes. Qu’est-elle d’ailleurs elle-même, sinon le fruit et comme le dernier mot d’une société, dont le suprême triomphe a été l’avènement du