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UN POÈTE COMIQUE PHILOSOPHE.

Ainsi le philosophe était resté dans l’estime des Grecs à côté sinon au-dessus du poète comique.

La comédie inventée par Épicharme n’a pas duré à Syracuse ; après lui, on ne cite que son fils ou son disciple, Dinolochos, dont il n’a survécu que quelques mots conservés dans les glossaires. Quelle en est la raison ? C’est que cette comédie n’était pas née viable, dit Bernhardy : il y manquait le souffle vivifiant de la liberté. Cela est possible ; mais avant de prononcer cette sentence absolue, il faudrait d’abord interroger l’histoire. Ce serait à elle de répondre et de nous dire pourquoi, après la révolution qui renversa le fils de Hiéron, il ne s’est pas trouvé un public pour aimer et encourager des pièces du genre de celles qu’on applaudissait sous les tyrans ; pourquoi, sous le règne des Denys, un patronage analogue à celui de Gélon et de son frère n’a pas suscité des continuateurs d’Épicharme et de Phormis. Peut-être le caractère de leur tyrannie, moins glorieuse, moins magnifique, moins libérale pour les arts et la poésie ; peut-être surtout la déchéance rapide de Syracuse, tout occupée de discordes, épuisée par les guerres civiles et extérieures ; peut-être la mollesse et la mobilité des Syracusains, plus avides de plaisirs sans cesse renouvelés que capables d’encourager les efforts soutenus dans l’invention des œuvres d’art, et bien vite tombés, sous l’influence du climat, au rang des cités commerçantes de l’Asie-Mineure, les empêchaient de produire des poètes. Les confréries ambulantes d’artistes dramatiques suffirent à leur goût pour les spectacles ; et ils semblent même à cet égard être restés inférieurs aux Tarentins, qui, à défaut d’un Ménandre, eurent Rhinton et ses imitateurs avec leurs tragi-comédies.

Voilà les raisons historiques. Quant aux raisons d’art, il n’en existe aucune. Les œuvres d’Épicharme avaient en elles-mêmes une incontestable valeur. Il se peut qu’Ottfried Muller ait pris trop au sérieux un mot de Platon qui, en se jouant et pour le besoin de sa cause, fait du poète sicilien le premier des comiques ; mais il ne faut pas non plus trop déprécier ce qui a pu donner lieu à cette exagération. Non, l’invention d’Épicharme n’a pas péri : elle a été conservée et achevée par les Attiques, d’abord pendant la période de la comédie politique elle-même, où les imitations de la comédie sicilienne sont encore frappantes malgré la pauvreté des fragmens, et surtout dans la moyenne et la nouvelle comédies, qui sont les continuations directes de la comédie d’Épicharme.


Jules Girard.

tome xl. — 1880.51