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UN POÈTE COMIQUE PHILOSOPHE.

suite d’un exil volontaire, et la pompe bachique qui accompagnait le retour du dieu dans l’Olympe. Une pareille matière, riche en incidens burlesques et en mots plaisans, convenait parfaitement à la comédie dorienne. On en peut dire autant du Cyclope, où Polyphème était, comme dans l’Odyssée, enivré par Ulysse. C’est de ce côté que paraissent se tourner, quelquefois contre toute attente, beaucoup de sujets mythologiques. Ainsi le vers souvent cité : « Il n’y a pas de dithyrambe quand on boit de l’eau, » était tiré de Philoctète. Les sirènes, dans la pièce qui porte ce nom, remplaçaient le piège de leurs chants mélodieux par l’appât d’une grasse et abondante hospitalité. Les poissons, les oiseaux, des mets de diverses sortes, avec leurs modes de préparation, remplissent encore une appétissante énumération. À plus forte raison des types consacrés comme celui d’Hercule donnent-ils matière à des développemens analogues. Ici c’est surtout la peinture d’une prodigieuse voracité :

« D’abord, si tu le voyais manger, tu en mourrais. Son gosier gronde, ses mâchoires craquent, ses molaires résonnent, ses canines grincent ; il siffle des narines, il agite les oreilles. »

Cette description nous transporte en pleine charge populaire ; elle ne dut pas déplaire aux délicats. Les Grecs seront toujours prêts à rire de la gloutonnerie d’Hercule ; les spectateurs d’Euripide prendront plaisir à le voir manger et boire de bon cœur dans la maison d’Admète tout en deuil, avant d’aller arracher Alceste au génie de la mort. Dans Épicharme, qui présentait sous de pareils traits le vainqueur de Busiris, la partie la plus raffinée du public admirait cet art nouveau qui relevait le grotesque par une recherche expressive de mots et d’harmonies et le revêtait pour la première fois du mètre poétique.

La place réservée aux plaisirs de la table dans le théâtre du comique syracusain s’explique d’abord par le rapport qu’avait un pareil sujet avec le Cômos bachique, une des principales sources de la comédie. C’était en outre une conséquence des mœurs siciliennes. Les Doriens de la Sicile et de l’Italie ressemblaient peu aux Doriens de Sparte. Déjà dans la Mégare de Grèce, enrichie par le commerce et énervée par le luxe, les banquets doriens étaient devenus des plaisirs recherchés et des débauches. Les goûts qu’elle transmit à ses colonies y trouvèrent les meilleures conditions pour prospérer. Sans doute la Mégare de Sicile ne fut pas en reste avec sa métropole, et il est évident que Syracuse, le séjour définitif d’Épicharme, n’avait pas reçu des traditions plus austères de la sienne, la voluptueuse Corinthe. Voilà pourquoi l’œuvre comique de notre poète, à en juger par les fragmens qui sont venus s’accu-