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cune révolution qui, par une destruction durable ou momentanée de la constitution dorienne, y ait donné accès à une pareille licence. En tout cas, une fois transporté de Mégare à Syracuse, où il donna sans doute la plupart de ses pièces, Épicharme n’aurait pu suivre sur ce point l’exemple de la mère patrie. Il est donc probable que chez les Mégariens de Sicile la liberté de l’insulte n’exista pas et qu’il y eut en général plus de réserve. D’un autre côté, ils trouvaient dans les dispositions de leur nouvelle patrie de quoi développer leur goût pour les facéties. Les Siciliens passaient dans l’antiquité pour avoir un tempérament particulièrement enjoué et caustique. « Jamais les Siciliens, dit Cicéron, ne sont en si mauvaise passe qu’ils ne disent quelque plaisanterie. » De plus, dans ces riches cités commerçantes de la Sicile et de l’Italie inférieure, le goût du plaisir était extrême ; les fêtes s’y multiplièrent à l’infini : à Tarente, il y en avait plus que de jours non fériés, au témoignage de Strabon. Celles de Bacchus s’y célébraient avec une passion dont les kermesses de la Hollande donnent à peine l’idée aux modernes. « J’ai vu toute la ville ivre aux fêtes de Bacchus, » dit encore de Tarente un des interlocuteurs des Lois de Platon. Sur ces sortes de sujets le danger aujourd’hui pour la critique est d’atténuer. À distance, les mœurs s’effacent et ces exubérances disparaissent ; tout se décolore et s’éteint, grâce à nos idées de régularité et aux préoccupations logiques des savans, qui enchaînent péniblement des faits à peine aperçus.

Les bouffons de la Grande-Grèce portaient le nom particulier de phlyaques (c’est-à-dire bavards), qui mérite d’être conservé, parce qu’il servit à désigner un développement postérieur de l’art comique chez les anciens. Il semble que les sujets des petites scènes qu’ils représentaient affublés de costumes grotesques aient été de deux sortes. Ou bien c’étaient des peintures chargées de la vie familière, où l’action très simple était soutenue par des observations morales, vivement lancées sous forme de proverbes et dans le dialecte populaire ; ou bien, et ceci portait plus particulièrement encore l’empreinte du goût local, c’étaient des parodies mythologiques. En Sicile, on cite les ïambistes de Syracuse, dont nous avons relevé l’analogie avec les phallophores de Sicyone. Enfin il faut rappeler qu’à Sélinonte, colonie de Mégare hybléenne, un vieux poète, Aristoxène, presque contemporain d’Archiloque, s’était distingué par des poèmes ïambiques. Au témoignage d’Épicharme lui-même, c’était lui qui avait donné en Sicile le premier exemple de ce genre de composition.

Telles sont donc, pour conclure, les formes auxquelles aboutit dans les colonies occidentales le développement du comique dorien : la