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UN POÈTE COMIQUE PHILOSOPHE.

Quelqu’un les dépouillera du mètre dont elles sont maintenant revêtues et, lutteur redoutable, fera voir que les autres sont faciles à abattre. »

Sans chercher quel peut être ce lutteur, annoncé peut-être après coup, et par conséquent si la prédiction est authentique, bornons-nous à remarquer qu’il semble qu’ici Épicharme, ou le personnage qu’il met en scène, se glorifie surtout de sa science dialectique, et nous avons vu qu’en effet le nom du poète était resté attaché à une forme d’argument.

Si ce fragment porte l’empreinte de la comédie, elle n’y est pas facile à distinguer ; mais elle ne l’est guère davantage dans les autres. Il faut donc conclure qu’autant qu’on en peut juger, la bouffonnerie, élément nécessaire de la comédie sicilienne, restait distincte de l’élément philosophique. Rien ne faisait pressentir dans l’expression des idées sérieuses ces fantaisies grotesques et ces hardiesses licencieuses dont Aristophane devait le plus souvent envelopper ses pensées les plus profondes ou les plus chères. La bouffonnerie pouvait être ailleurs, dans le cadre, dans d’autres scènes ; quant aux parties qui ont valu à Épicharme le renom de philosophe, elles n’admettaient qu’un comique tempéré, qui ne devait se retrouver sur la scène athénienne que longtemps après, lorsque les premières effervescences de la comédie s’y seraient calmées. N’était-ce pas ce qui convenait à cette partie éclairée et polie du public qui s’était formée sous l’influence d’une cour fréquentée par les plus beaux génies poétiques et qui ne pouvait se contenter de grosses farces ? Le théâtre ne lui offrait ni l’âpre intérêt des passions politiques, qui ne pouvaient s’y donner carrière sous le régime des tyrannies, ni les grandes émotions de la tragédie, qui ne paraît à Syracuse qu’accidentellement, comme une importation : au moins accepta-t-elle volontiers un plaisir plus délicat mêlé aux grossièretés d’un divertissement populaire.

D’un autre côté, s’il est probable que le petit nombre de fragmens philosophiques qui nous est parvenu appartenait primitivement à des comédies, il n’en résulte pas nécessairement, comme le voudrait Grysar, qu’Épicharme n’avait pas composé sur ces matières un poème indépendant. Au contraire, cette supposition de l’existence d’un poème sur la nature, analogue à ceux de Xénophane, de Parménide, d’Empédocle, explique mieux le titre du poème pythagoricien d’Ennius ; il est plus naturel de se figurer le poète latin imitant le poète grec et, par suite, inscrivant le nom de celui-ci en tête de son ouvrage. On se demande aussi comment il eût été possible de faire passer pour une œuvre d’Épicharme ce poème de la République que nous avons mentionné, s’il n’avait jamais écrit que des comédies. L’activité d’Épicharme en dehors