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antérieur à la date généralement adoptée. Ce genre de préoccupation chez lui paraît encore attesté par le titre d’une de ses comédies, dont il ne reste guère qu’un calembour : elle s’appelait Logos et Logina. Ces deux noms désignaient-ils, comme le pense M. Bernhardy, deux personnifications, mâle et femelle, de l’art oratoire ? Ou bien, suivant une supposition de Welcker, étaient-ce un pythagoricien, désigné par le mot Logos, qui joue un grand rôle dans l’enseignement pythagorique, et son disciple ? Quelle que soit l’incertitude de ces hypothèses, il faut reconnaître que le titre de la comédie perdue est bien fait pour en provoquer, celles-ci ou d’autres, et que la pensée d’y chercher des rapports avec la dialectique oratoire ou philosophique, alors naissante, n’a rien d’invraisemblable. La curiosité d’un public grec pour ces sortes d’inventions était extrême, même pour celles de la grammaire. On a cité plus d’une fois, sinon parfaitement défini, la Tragédie des lettres de Callias ; des tragiques avérés, Euripide, Agathon, Théodecte, se transmettent, comme un thème agréable à la foule, une description des lettres qui entrent dans la composition du nom de Thésée ; ils en chargent un personnage qui ne sait pas lire. Sophocle, dans le drame satirique d’Amphiaraüs, va jusqu’à mettre l’alphabet en ballet, ou du moins confie à un danseur le soin d’en figurer les signes. Bien avant eux, le même sujet avait attiré, dit-on, l’intérêt d’Épicharme ; il s’en serait même occupé, non par un caprice accidentel de poète, mais en grammairien, s’il est vrai qu’il fut de moitié dans les inventions par lesquelles un autre poète, Simonide, passe pour avoir complété l’alphabet hellénique.

Pour revenir à la philosophie pure, parmi les maîtres illustres dont les idées ne furent pas étrangères à Épicharme, à côté d’Héraclite, il faut placer Xénophane, qui passa une partie de sa longue vie à Zanclé et à Catane, et que le poète put connaître personnellement. Nous ne savons trop si sa reproduction d’un point de doctrine d’Héraclite était sérieuse ou ironique : il paraît avoir combattu franchement Xénophane. C’est la seule chose qui ressorte clairement d’un passage de la Métaphysique d’Aristote. C’est ce que prouverait aussi, si on l’admettait, l’ingénieuse et vraisemblable explication que Welcker a donnée du vers célèbre : « C’est l’esprit qui voit, l’esprit qui entend : tout le reste est aveugle et sourd. » Xénophane avait dit de Dieu : « Tout entier il voit, tout entier il comprend, tout entier il entend. » Dans le grec, il y a un rapport sensible entre les deux vers, et il n’est pas impossible que l’opinion pythagoricienne sur la distinction de l’âme intelligente et du corps ait été ainsi opposée au panthéisme éléatique, qui voyait dans toutes les opérations de l’intelligence et des sens la divinité elle-