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les infidèles. Les liras du Sauveur sur la croix étreignent l’éternité ; la tendresse de ses servantes doit embrasser le passé, le présent et l’avenir. »

Les âmes les plus tendres sont les plus indomptables, et les cœurs d’anges sont des cœurs de lion. « Quand les évêques, disait Pascal, ont des courages de femmes, c’est aux femmes d’avoir des courages d’évêques. » Atteinte d’une maladie sans merci qu’elle avait gagnée dans les ambulances et qui déjà ne laissait plus d’espoir, la supérieure de l’hôpital Saint-Jean fut, le 7 novembre 1871, brusquement déposée de sa charge par la mère générale de la congrégation, pour avoir déclaré que, comme le père Gratry, comme M. de Montalembert, comme le docteur Dœllinger, elle croyait à l’infaillibilité de l’église, mais qu’elle ne pouvait croire à l’infaillibilité du pape. Quoiqu’elle s’affligeât de voir les évêques allemands qui avaient combattu le nouveau dogme comme un dogme de servitude se soumettre l’un après l’autre, quoique en dépit de sa douceur elle ressentît de saintes colères « contre les héritiers des scribes et des pharisiens, » quoiqu’elle se plaignît que l’église n’enfantât plus que « des juifs et des cailloux, » quoiqu’elle suppliât le Seigneur « de venir nettoyer son aire avec son van, » elle s’était promis de se taire et ne s’ouvrait de ses chagrins qu’à ses plus intimes amis. Mais elle prévoyait qu’on ne s’accommoderait pas de sa soumission muette, qu’après la tournée des diocèses on ferait celle des couvens et qu’on lui mettrait le couteau sur la gorge. On l’interrogea, il fallut bien répondre, et ses lèvres n’avaient jamais menti. On se flatta de l’espoir qu’elle viendrait à résipiscence ; on la relégua à Vallendar, dans une infirmerie que desservaient les filles de Saint-Charles et dont elle connaissait la supérieure. Ce qui la chagrinait le plus dans sa captivité, c’était la privation du sacrement ; un prêtre résolu lui apporta furtivement une hostie de contrebande, qui rassasia sa faim. Alors elle recouvra quelque force et quelque gaîté ; on entendit une fois encore ce rire si clair, si franc, et qui jadis était si contagieux. Elle passait des heures à se souvenir, à contempler le Rhin, à se raconter l’histoire de sa vie, à donner des conseils aux sœurs de Vallendar ; à leur prodiguer les trésors de sa longue expérience, à écrire à ses chères religieuses de Bonn pour les supplier de reporter leurs tendresses et leurs respects sur la supérieure qui lui avait succédé.

Mais l’épreuve eut bientôt raison de ses forces. De toutes parts on s’acharnait sur cette noble proie. Les convertisseurs accouraient en foule, robes noires, brunes et blanches, prêtres, laïques ou jésuites, amis, parens, inconnus, et pour réduire cette forteresse on mettait tout en œuvre, le raisonnement, l’invective, les insinuations, la casuistique, les artifices, les oraisons, les reliques, les eaux miraculeuses. Aux supplications on joignait les menaces. Elle pleurait beaucoup, mais elle