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fort simples. Il y était dit que des femmes dont la vocation consiste à servir les pauvres, à soigner les malades, ne peuvent pas consacrer beaucoup de temps aux exercices de la dévotion ; on ne leur en prescrivait que fort peu, dont elles étaient dispensées en cas de nécessité pressante ; elles pouvaient suppléer à tout par l’oraison intérieure. D’année en année, sous l’influence des jésuites, sœur Augustine vit ces règles se compliquer de pratiques superflues ou nauséabondes, d’observances puériles. Quand la supérieure de l’hôpital Saint-Jean se rendait à Nancy selon l’usage pour y faire une retraite, elle ne savait que trop ce qui l’y attendait. — « On a déballé là-bas beaucoup de trésors spirituels, écrivait-elle en 1868 à une amie, mais il y en a fort peu qui m’aient agréé. La chère mère s’en est bien aperçue. » Elle se soumettait, mais en frémissant. Il lui semblait parfois que « son cœur était trop grand pour un cloître. »

Cependant, malgré les dégoûts qui l’assaillaient, cette prisonnière de Dieu et des pauvres ne se repentit jamais de la servitude où elle s’était engagée. La joie surmontait la douleur et les abattemens. — « Je regrette, disait-elle, que ma profession ne soit pas une personne, pour pouvoir la presser sur mon cœur. N’est-elle pas ma meilleure amie ? N’est-ce pas elle qui me rend à moi-même par sa douce violence ? N’apaise-t-elle pas mes souffrances par la délicieuse certitude que toutes mes heures sont consacrées à l’humanité ? » En dépit des pédans, des intrigans et des faux dévots, ce qu’elle était venue chercher dans son hôpital, elle l’y avait trouvé. Elle s’était promis « de s’enrichir auprès de ceux qui n’ont rien, de guérir avec les infirmes, d’apprendre à vivre des mourans. » Elle s’écriait : « Les malades sont nos trésors ; les souffrances de l’âme et du corps sont nos domaines, et la guerre elle-même nous enrichit. » Elle avait surtout la joie de satisfaire ce besoin de dévoûment qui la travaillait, de répandre autour d’elle cette brûlante charité dont elle était consumée, de mettre au service des petits de la terre tous les dons qu’elle avait reçus, le génie de l’ordre, l’industrie du bien, sa merveilleuse netteté d’esprit et de parole, ses mains vigilantes et agiles qui n’étaient jamais lasses, l’art du commandement et le talent de consoler. Elle assistait les chirurgiens dans leurs opérations, dirigeait la pharmacie, pansait les malades, s’ingéniait pour des distraire et souvent les veillait. Ses yeux et son cœur étaient partout, sans qu’elle négligeât l’éducation des novices qui lui étaient confiées et qu’elle entourait d’une maternelle sollicitude, ne leur imposant jamais l’obéissance muette et passive, les traitant « comme des personnes, non comme des choses. » Les religieuses qui étaient sous sa garde l’adoraient. On s’étonnait à Nancy que tout le monde voulût aller à Bonn, que tout le monde y voulût demeurer à perpétuité ; quand il fallait partir, c’étaient des larmes, des désolations. La parfaite bonté, jointe à la supériorité du caractère et de l’esprit, inspire des