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assurément de nos jours. Il en est de même de la pension de vingt mille livres tournois promise au cas où ses fonctions d’ambassadeur seraient retirées à M. de Staël. En effet, de ce contrat il résulte que M. Necker constituait en dot à sa fille la somme, énorme pour le temps, de six cent cinquante mille livres, tandis que ses émolumens d’ambassadeur constituaient le plus clair des apports de M. de Staël. Une pension sur la cassette royale (que ce fût celle du roi de Suède ou celle du roi de France) était alors une source de fortune aussi fréquente qu’honorable, et je ne vois pas pourquoi la prévoyance paternelle de M. Necker, cherchant à compenser l’inégalité qui existait entre sa fille et son gendre, paraîtrait digne de blâme. Quant à l’inclination respective des deux époux qui, d’après M. Geffroy, n’aurait pas été suffisamment consultée, cette considération fort grave assurément ne paraît pas avoir tenu moins de place dans l’union de Mlle Necker avec M. de Staël que dans tous les autres mariages du temps ; est-il d’ailleurs bien certain que dans les mariages d’aujourd’hui cette considération passe toujours avant toutes autres ? Il ne faut non plus oublier que M. de Staël avait fort bien réussi à la cour de France, qu’il passait pour avoir de l’esprit et qu’il était agréable de sa personne. Tel du moins il apparaît dans un assez beau portrait qu’on peut voir encore à Coppet, où il est représenté en perruque poudrée et en justaucorps de velours noir avec des revers rouges, portant à son côté, dans la ceinture de son épée, la clé de chambellan de la reine de Suède. Aussi les amis de M. et de Mme Necker furent-ils unanimes dans les félicitations qu’ils leur adressèrent au sujet du brillant mariage que leur fille venait de conclure, et Marmontel pouvait-il se vanter en présence de cette approbation générale d’avoir le premier signalé à Mme Necker tout ce que ce parti présenterait d’avantageux.

Le mariage fut célébré le samedi 14 janvier 1786 dans la chapelle de l’ambassade suédoise. Suivant l’usage du temps, Mme de Staël passa sous le toit de ses parens les premiers jours qui suivirent la cérémonie. Mais, le jeudi de lai semaine suivante, elle dut quitter les liens où s’était écoulée sa jeunesse pour aller occuper l’hôtel de l’ambassade de Suède, qui était situé rue du Bac. Au moment de partir, elle adressa à sa mère une touchante lettre d’adieux qui achèverait de montrer, s’il en était besoin, que pas plus chez la fille que chez la mère, les dissentimens dont j’ai parlé n’avaient détruit la tendresse :


Ma chère maman,

Je ne reviendrai pas ce soir chez vous. Voilà le dernier jour que je passe comme j’ai passé toute ma vie ! Qu’il m’en coûte pour subir un