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confidence que quelqu’un prétendait qu’elle était plus vraie que Mme de Grammont et que Mme de Grammont était plus sincère, fine distinction. Il me semble, comme je le disais à Mme de Beauveau (car on pouvait le lui dire), que le naturel de Mme de Grammont frappe plus que le sien parce qu’elle montre des défauts et qu’elle a du mérite à être naturelle, mais comme on serait par choix ce que Mme de Beauveau est par nature, on vante moins cette qualité en elle. Son esprit n’est pas par traits ; je ne suis pas étonnée qu’elle ne puisse pas l’allier avec celui de Mme d’Houdetot ; mais en conversation avoir de l’esprit, c’est son état habituel. Elle a de l’esprit comme les femmes sont jolies. Quelquefois cependant, elle se livre à des discours sur les plats qui sont sar la table, sur mille détails minutieux ; mais alors il semble que la bonté de son caractère donne trop de bonhomie à son esprit, et puis je crois qu’elle aime assez à étendre son espace en se promenant de bas en haut ; aller de hauteurs en hauteurs n’est pas donné à tout le Monde. Elle aime aussi le contraste de la succession de deux conversations si différentes ; pour moi j’aimerais assez qu’on ne se reposât de la pensée que par la grâce, de l’éloquence que par la gaieté, et que le genre plat ne trouvât jamais la place dans les ombres mêmes de tableau.

Estime qu’elle fait de M. le Dauphin, son affection pour elle. Son opinion sur M. de Choiseul qu’elle devrait écrire : de l’étoile dans sa vie et dans sa réputation ; de l’audace plutôt que de l’élévation d’âme ; une confiance extraordinaire et que l’événement a justifié ; gagnant une fois à l’armée cent mille écus au jeu, montant sa maison sur cette dépense et l’ayant soutenue de même jusqu’à sa mort ; de la générosité dans ses sentiments, de l’orgueil à l’excès ; peu d’esprit, c’est étonnant à dire, mais du bonheur encore dans son esprit ; des coups de dés lumineux en affaire, point de logique ; plus aisé à gouverner en choisissant les momens qu’en se servant de la raison ou de l’éloquence. Sa sœur supérieure à lui ; son désespoir de s’humilier, sur la fin de ses jours, jusqu’à demander de l’argent à Beaumarchais, à Foulon qui ! avait autrefois traité comme il le méritait. Divers traits enfin qui semblent en faire un homme plus noble que grand, plus heureux que distingué, ne pouvant faire effet que pendant sa vie sur la nation française, généreux dans un sens plus étendu que l’acception ordinaire, ayant des mouvemens qui lui tenaient lieu de principes et peut être encore plus mobile que sensible et faible autant que bon.


Bien que ces deux portraits ne soient assurément pas indignes de l’auteur de Delphine, cependant de toutes les pages de ce journal les plus intéressantes sont celles où, toute vibrante encore de quelque impression vive qu’elle vient de recevoir, Germaine Necker traduit déjà avec éloquence ses émotions et ses terreurs imaginaires.