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dans l’embarras. Un troisième lui envoyait des fleurs et accompagnait cet envoi d’un Bouquet à Germaine, qu’il terminait ainsi :


Comme elles j’ai quitté les lieux qui m’ont vu naître,
Comme elles près de toi je veux vivre et mourir.
Cette rose et mon cœur trouvent un nouvel être :
Mon sort fut de t’aimer, le sien de t’embellir.


C’est ainsi que sa jeunesse recueillait les derniers fruits de la galanterie d’un siècle à son déclin en attendant les hommages que son génie devait recueillir d’un siècle à son aurore.


III.

Les inconvéniens de cette vie en public pour une aussi ardente nature n’échappaient pas à Mme Necker, qui s’efforçait d’en combattre les effets fâcheux par la sévérité des préceptes qu’elle donnait à sa fille. Ces inconvéniens n’ont pas échappé non plus à Mme de Genlis, la sévère pédagogue, qui dit à ce propos dans ses Mémoires : « Mme Necker avait fort mal élevé sa fille en lui laissant passer dans son salon les trois quarts de ses journées avec la foule des beaux-esprits de ce temps qui tous entouraient Mme Necker, et, tandis que sa mère s’occupait des autres personnes et surtout des femmes qui venaient la voir, les beaux-esprits dissertaient avec Mlle Necker sur les passions et sur l’amour. La solitude de sa chambre et de bons livres (ceux de Mme de Genlis sans doute) auraient mieux valu pour elle. » — Il faut croire cependant que Mme de Genlis n’avait pas toujours été également frappée de la mauvaise éducation donnée par Mme Necker à sa fille, car elle lui écrivait précisément à ce propos :


S’il est vrai que de grands exemples puissent seuls donner de frappantes et d’utiles leçons, quelle femme, quelle mère donna jamais à sa fille une meilleure éducation que celle que Mlle Necker a reçu de vous. Elle a trouvé dans la maison paternelle tout ce qui pouvoit lui inspirer le goût de la bienfaisance et de la vertu, et lui aprendre à n’aprécier que la considération du mérite personnel et de la véritable grandeur.


Bien que Mme de Genlis, si sévère dans ses Mémoires, eût raison de dire dans cette lettre que les exemples donnés par une mère à sa fille constituent la meilleure des éducations, cependant Mme Necker était trop scrupuleuse pour se contenter de remplir d’une façon aussi indirecte l’un des premiers devoirs de sa vie. Elle n’était pas davantage femme à penser qu’il fût permis à une nature, si riche, si généreuse, si droite qu’elle fût, de s’abandonner à ses instincts,