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défiance, il s’efforça de se réhabiliter en luttant ensuite de férocité avec les autres. Il proposa de mettre le feu à tous les châteaux des environs de Paris, afin que, pendant cette diversion, il put tomber sur les conseils et sur le directoire. Sa proposition fut repoussée. Le moment décisif était venu.

Grisel demanda une entrevue à Carnot et lui fit le récit de ce qu’il avait vu et entendu, récit qu’il renouvela le lendemain devant tout le directoire. Une fois maître du secret, le gouvernement laissa encore pendant quelque temps marcher l’affaire, qui fut retardée par les difficultés soulevées par les montagnards. Amar, Vadier, Vouland et quelques autres ne consentaient pas à entendre parler de « bonheur commun. » On essaya de se tromper mutuellement. Une réunion dernière eut lieu chez Drouet, l’ancien maître de poste qui avait arrêté Louis XVI à Varennes et qui était alors membre du conseil des cinq-cents. Babeuf fit là un discours déclamatoire et vide. Il montra que depuis 1789 plusieurs révolutions s’étaient succédé, qu’il s’agissait d’en faire une qui serait la dernière de toutes et qui atteindrait « le maximum de la vertu, de la justice et du bonheur, l’apogée du bien. » Des discours il fallut passer aux faits. Le plan proposé, d’après une des pièces saisies, était de « tuer les cinq[1], les ministres, le général de l’intérieur et son état-major, de s’emparer de la salle des anciens et des cinq-cents, de saisir les télégraphes, de se rendre maîtres de la rivière, etc. ; » en un mot, on avait préparé tous les moyens déjà bien connus alors de faire réussir une insurrection. Une autre pièce déclarait qu’il fallait « colérer le peuple » et mettre à mort quelques chefs. « Il est essentiel et capital que quelques actes semblables aient lieu. » Si une résistance se déclarait quelque part, il faut « que les flammes vengent à l’instant la liberté et la souveraineté du peuple. » Programme anticipé d’une insurrection future qui devait en effet, suivant le plan indiqué, commencer par l’assassinat pour finir par l’incendie. Il est certain que quelques-uns des conjurés, Rossignol entre autres, étaient des plus féroces[2]. Enfin, tout étant préparé, aussi bien du côté des conspirateurs que du côté du gouvernement qui les faisait surveiller, celui-ci donna l’ordre de s’assurer des conjurés et de leurs papiers. Le 20 floréal an IV, Babeuf et tous les chefs de la conspiration, ainsi que les adhérens, furent arrêtés. Mais on ne put saisir toutes les pièces : un grand nombre d’entre elles furent détruites ; plusieurs restèrent entre les

  1. On discuta beaucoup dans le procès sur ce mots : tuer les cinq, qui, à ce qu’il parait, étaient mal écrits et peu lisibles.
  2. Faut-il croire Grisel, lorsqu’il déclare avoir entendu ces propres paroles de la bouche de Rossignol : « Je ne me mêle pas de votre insurrection si les têtes ne tombent comme la grêle, si les tripes, les boyaux ne jonchent pas le pavé ? »